Reprise en main des fonds européens, de la construction des écoles primaires, ou création d’un Établissement public Foncier d’État… est-on en train d’assister à une « recentralisation » l’année même de la promulgation de l’acte III de la Décentralisation ?
L’état se réveillerait-il jacobin à Mayotte ? Cette doctrine politique, dont les membres s’étaient réfugiés pendant la Révolution française dans l’ancien couvent des Jacobins à Paris, est partisane d’un Etat centralisé, d’un Etat-nation. Au contraire, la décentralisation transfère les compétences administratives de l’Etat vers des entités locales, distinctes de lui.
Inscrite à l’article 1er de la Constitution, la décentralisation est engagée en France par les lois Deferre de 1982 et 1983 : tout en conservant un contrôle, celui de la légalité, sur les collectivités locales, l’Etat perd sa tutelle et transfère l’exécutif du préfet au Conseil général.
Les régions, transformées en collectivité locales, reçoivent des compétences (urbanisme, logement, formation professionnelle, santé ou action sociale) et sont aidées en cela par l’État au moyen de dotations. De nouveaux transferts de compétences sont appuyés par l’acte II (2003) de la Décentralisation, amenant notamment une autonomie financière aux collectivités, puis la III, en débat cette année au Parlement, qui instaure des métropoles dans les plus grandes agglomérations, et tend à la mutualisation des moyens. Ce dernier point est critiqué par certains qui y voient une recentralisation des décisions. D’autres, déplorent l’absence de nouveaux financements de l’État pour compenser ces nouvelles compétences, il est même annoncé une réduction des dotations aux collectivités territoriales sur 2013-2015.
C’est celui qui paie qui dit !
Daniel Zaïdani, le président du Conseil général, n’a d’ailleurs jamais manqué l’occasion de rappeler à l’ordre les gouvernements Fillon et Ayrault, sur des charges qu’il estime supporter indûment.
Le préfet Jacques Witkowski donne l’éclairage de l’État sur les trois axes évoqués plus haut. « En matière fonds européens, et contrairement à l’acte III de l décentralisation, l’État a pris la main à Mayotte, et à la demande du président du Conseil général. En effet, la Commission européenne se retournera contre l’autorité de gestion pour demander un remboursement des fonds en cas d’utilisation irrégulière ».
Quant aux constructions scolaires, prérogatives des communes au sein du Syndicat mixte d’Investissement et d’Aménagement de Mayotte (SMIAM), qu’elles cofinancent avec l’État, « ça ne marche pas ! » résume Jacques Witkowski (voir article). Le préfet prévoit un Groupement d’Intérêt public (GIP), présidé par un fonctionnaire d’État et coprésidé par un élu, quand Daniel Zaïdani imagine le contraire (voir article).
Projeter Mayotte
Enfin, c’est un Établissement public foncier d’État et non local comme demandé par le département, qui aura en charge l’acquisition de terrains aux fins d’aménagement du territoire, défendu par le préfet « le département n’a pas les moyens de financer un Établissement public foncier local », moyens financiers, mais aussi humains…
Mais pas question pour Jacques Witkowski de parler de « recentralisation » : « nous n’imposons pas, nous proposons »… Mais les besoins colossaux d’un département d’outre-mer comme Mayotte le placent de fait dans une dépendance d’une maison mère handicapée par la rigueur budgétaire. Une position aggravée par les incidences d’une immigration clandestine combattue par l’État, mais non assumées dans ses répercussions sociales.
Daniel Zaïdani n’est, d’autre part, pas en position de négocier au regard de ses déboires judiciaires et d’un budget déficitaire (les bruits de couloir l’annoncent à -30M€), malgré les efforts affichés de redressement.
La situation de Mayotte découle d’un niveau de charges bien plus important que ce que l’État n’avait imaginé, et de l’absence de projet de société et de développement du territoire des élus. « Nous devons être accompagnés par une loi de programme qui donne une visibilité » conclut Daniel Zaïdani.
Anne Perzo-Lafond
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