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Difficile de tirer le portrait d’un homme qui avoue d’emblée fuir flash et médias. Car c’est un bâtisseur de l’ombre que nous rencontrons ce mercredi. Un jeune bâtisseur puisqu’il est né le 6 juin 1979 à Sada. Son papa, bijoutier en Grande Comore, se reconvertit pêcheur et cultivateur en arrivant à Mayotte par manque de fond personnel pour s’installer à son compte.
Mohamed entre à l’école primaire à 7 ans et suit le collège à Chiconi. Élève moyen, il excelle malgré tout en biologie, mais ses parents le découragent de suivre les études agricoles dont il rêve, «nous n’avons pas fait tous ces efforts pour que tu gardes des vaches», lui lâchent-ils. Un secteur qu’il regrette encore aujourd’hui de ne pas avoir investi.
Il inaugure avec ses copains le tout nouveau lycée de Sada, dont il sort avec un Bac STTCG (Comptabilité et gestion), « j’étais moyen partout », justifie celui qui aimait l’école. Il est d’ailleurs sollicité très jeune par des voisins pour convertir leur fils aux bienfaits de la scolarité.
Il part suivre la fac à Rennes où habite un de ses cousins, décroche un DEUG (licence2) d’Administration Economique et sociale (AES) et part valider un BTS Comptabilité-gestion à Guingamp.
Virage complet, il passe le concours de gendarme adjoint après avoir été marqué petit par ce corps incontournable qui délivrait alors les cartes d’identité à Mayotte. Et puis, il faut bien manger et aider sa famille. Trois ans près avoir géré les réservistes au «Pôle budget, réserve et formation», il a le blues du pays, démissionne de la gendarmerie et rentre à Mayotte en 2008.
JDM : Comment se passe le retour au pays?
Mohamed Assani Abdou : « Ce fut incroyable ! Je suis arrivé un vendredi, et le lundi je trouvais un travail à la mairie de Mamoudzou au pôle Marchés publics. Sans perspective d’évolution, je rejoins alors la DASS (ex ARS) qui offrait un poste de formateur en CDD, où je pouvais mettre à profit l’expérience acquise à la gendarmerie. Finalement, je réponds à OPCALIA qui cherchait un comptable, et j’exerce en tant que responsable financier. Au bout de deux ans j’ai été tenté de me mettre à mon compte. Un risque qui m’a valu bien des reproches de la part de mon entourage, mais je m’associe malgré tout avec un expert comptable en 2010.
Des expériences plus ou moins réussies m’amènent à changer de partenariat pour aboutir au cabinet A2C actuel, A pour Audit, et le double C pour Conseil et Commissariat, avec une jeune expert-comptable réunionnaise. Le marché est bouché là-bas, alors qu’à Mayotte, seuls 8 cabinets se partagent le secteur. Nous n’avons pas encore vraiment sorti la tête de l’eau, mais nous travaillons avec dextérité. Nous avons une centaine de petits clients actuellement. »
Un aboutissement, ou vous visez autre chose ?
Mohamed Assani Abdou : « Je prends actuellement des cours par correspondance pour passer un diplôme d’expert-comptable, que je validerai après 3 années de stage.
Outre que j’y gagne en savoir-faire et en autonomie, ce diplôme prouvera surtout que des jeunes mahorais, même moyens à l’école, peuvent y arriver. »
Comment voyez-vous l’avenir de Mayotte ?
Mohamed Assani Abdou : « Je suis confiant. Notre jeunesse manque d’expérience, mais c’est une richesse. Mieux vaut partir molo-molo et finir en beauté.
Mais nous devons pouvoir compter sur les élus, et jusqu’à présent, ils n’ont pas fait un bon travail. Ils se reposent une fois au pouvoir, en dehors de quelques exceptions. C’est pourtant une question de conscience, de formation, d’esprit d’équipe et d’amour pour cette île. Avec les dernières élections, nous pouvons penser avoir un sage à la tête du département. Mais nous avons rapidement besoin de concret. C’est dans des périodes de turbulences qu’on peut trouver des solutions, dans l’urgence.
Même si Paris ne s’est pas fait en un jour.”
Parlez-nous du Centre que vous venez de mettre en place pour les jeunes chefs d’entreprise.
Mohamed Assani Abdou : « Je veux d’abord vous raconter une histoire. Celle d’un entrepreneur local qui se trouve immergé dans une culture imprégnée d’ambition politique ou de carrières dans l’administration. Il se sent seul, a du mal à trouver des lieux d’échange avec ses confrères, n’arrive pas à se développer professionnellement et personnellement. Il aspire pourtant à être un acteur économique responsable, mais se sent perdu. Cette histoire, c’est la mienne.
Lors d’une formation à Paris, j’ai eu la chance de croiser un ami membre du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) d’Entreprises à Paris. J’y ai trouvé toutes les réponses à mes questions, et j’ai aussitôt décidé de l’implanter à Mayotte. Le CJD est donc né le 6 novembre 2014, le 118ème de France.
C’est le premier mouvement patronal français, créé en 1938 par Jean Mersch. Nous sommes apolitiques, sans logique de réseau comme on l’entend habituellement. Nous défendons l’économie au service de l’homme, des intérêts concrets.”
Quel est le profil de vos adhérents ?
Mohamed Assani Abdou : « Ils sont 13, prêts à construire quelque chose*. On y trouve la direction de la Chambre d’agriculture, comme celle de EDM, de l’entreprise Serv-in, mais aussi des salariés, du moment qu’ils ont une autonomie managériale. Ils ont tous passé plusieurs entretiens car le profil est déterminé par les valeurs qu’ils portent.
Nous sommes assis sur 5 piliers, communs à tous les CJD : réfléchir, expérimenter, se former, influencer en étant force de proposition et développer pour pérenniser.
Un exemple : si un entrepreneur se lance dans un secteur, on va lui présenter ceux qui sont déjà installés, on ne l’envisage pas comme un concurrent. C’est un libéralisme responsable, dans le sens de la liberté d’entreprendre, de penser, de se former.
Ensuite, c’est le réseau qui prend le relai, dans le sens du partage des savoirs. D’ailleurs, Mayotte sera l’invitée d’honneur du Forum de la formation où seront présentes les CJD de la région les 6 et 7 novembre à Madagascar.
Car avant de donner des leçons, il faut apprendre, pour être ensuite « créateur d’oxygène » comme le veut la maxime du CJD. Et l’innovation commence par le partage.”
Vous avez déjà initié des actions ?
Mohamed Assani Abdou : « Nous organisons une Master Class le 2 juin à Dembéni, sur le thème du leadership. Mais le plus important à Mayotte est de contribuer à l’émergence de jeunes talents. Nous devons identifier les potentiels et accompagner l’orientation de ces jeunes vers les filières d’excellence entrepreneuriale. Si les meilleurs sont ainsi boostés, cela servira d’exemple pour les autres, et redonnera une motivation aux désœuvrés.
C’est une association nationale au développement international.”
Comme nous le faisons toujours, trois petites questions personnelles. Avez-vous un mentor, quelqu’un qui inspire votre trajectoire ?
Mohamed Assani Abdou : (rires) Oui, DSK ! J’admire Strauss-Kahn pour son intelligence en matière économique.
Sinon, ma mère malgré le peu d’éducation qu’elle a reçu, pour ses valeurs de partage et d’ouverture à autrui.
Enfin, Barak Obama, qui invite à aller de l’avant.
Un livre ?
Mohamed Assani Abdou : « Le vieil homme et la mer » d’Hemingway, qui m’a fait voyager.
Mais j’ai envie de vous parler d’un film, « Vol au dessus d’un nid de coucou » pour sa sensibilité des traitements des malades et sa niaque de vouloir à tout prix en sortir. »
Un morceau ou un style de musique ?
Mohamed Assani Abdou : « Bob Marley surtout pour ‘No woman, no cry’ »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* contact@cjd-mayotte.fr
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