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S’asseoir en face de Faouzia Cordji, c’est risquer de se faire emporter par une de ses tempêtes. Parfois pleine de contradiction lorsqu’elle parle de Mayotte française, c’est en réalité une grande sentimentale. Est-elle née rebelle ? C’est le 8 mars 1953 qu’elle voit le jour à Mtsapéré. Sa maman élève seule ses 8 enfants, Faouzia Cordji sait qui est son père mais ne veut pas en parler.
Une mère brodeuse, qu’elle qualifie comme « femme de caractère, de connaissance, ayant une grande ouverture d’esprit ». Ismaël Kordjee, c’est son frère. L’orthographe divergente vient d’une erreur du tribunal lors de sa naturalisation française, lors de l’indépendance des Comores.
C’est dans le bâtiment proche de son actuel domicile, dans le même village de la commune de Mamoudzou, qu’elle a suivi son école primaire. Elle n’ira pas plus loin, suit une 6e et une 5e par correspondance, et intègre deux ans le lycée agricole de Moroni (Grande-Comore). Elle ne passe pas le bac, « je ne suis pas une intellectuelle », revendique-t-elle, mais part travailler comme animatrice rurale au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Coconi.
Elle se marie avec celui qui est devenu le président des anciens combattants de Mayotte, le commandant Boina.
En 1988, elle crée l’association d’artisanat « les Doigts d’or » et, celle de Défense de la condition féminine qui deviendra l’ACFAV, et se lance dans une tournée des villages pour être le moteur d’un monde associatif porteur de l’artisanat mahorais. Elle a été la promotrice du quartier artisanal, qui se tenait en lieu et place des services culturels du conseil général, mais a été détrônée, « on n’a jamais accepté qu’un Mahorais fasse quelque chose à Mayotte ».
Le JDM : C’est votre credo. Vous vous sentez héritière des « Chatouilleuses » ?
Faouzia Cordji : « Oui, et madame Méresse a toujours supporté les femmes qui voulaient se battre. Mon principal combat est de dénoncer les abus en tous genres contre les Mahorais. On a condamné mon centre artisanal, coulé l’APREDEMA, et transféré la direction de l’Adie à un métropolitain, alors que j’avais lancé l’antenne mahoraise. J’ai également contribué à fonder la Société immobilière de Mayotte, une association à l’époque. Depuis, Mahamoud Azihary l’a remonté alors qu’elle était en difficulté financière, et on veut le remplacer.
Je me suis battue pour une préférence locale à la direction du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), mais ils n’ont pas pris un Mahorais.”
Peut-être que le métropolitain avait davantage de compétence ?
Faouzia Cordji : « Mais un jeune cadre mahorais qui postulait n’a pas eu la possibilité de faire ses preuves ! Je ne comprends pas plus la position de l’Etat vis-à-vis des Comoriens : on invite des intervenants pour des forums, mais quand on va chez eux, ils nous demandent de ne pas nous identifier comme Français ! Lors du Forum de l’association Entreprendre au féminin, les femmes comoriennes ont reçu des menaces lorsqu’elles sont venues à Mayotte. Les Comoriens doivent être logiques avec eux-mêmes.
Lorsque je manifeste pour le dénoncer, on me traite de raciste. Ça me blesse parce que je ne le suis pas. Ce mot n’existe d’ailleurs pas en shimaore.”
Votre combat est essentiellement tourné vers l’Etat…
Faouzia Cordji : « Ce n’est pas un conflit contre l’Etat, mais qui voudrait être méprisé, et en plus chez soi ?! Nos salaires sont inférieurs à ceux de la métropole, nos allocations aussi, et nous payons les mêmes impôts et les mêmes amendes. Lorsqu’on revendique, on nous répond ‘vous avez voulu être Français’. Mais demandons-nous plutôt, pourquoi la France est venue à nous ! On nous a envoyés à l’école pour essayer de comprendre. Ça me permet de voir que la France demande que tous les enfants soient scolarisés, mais avec quel enseignement dans des classes bondées. On empêche les petits Mahorais de pouvoir apprendre, ils vont à l’école la peur au ventre.
Beaucoup d’enfants vivent maintenant à Mayotte dans la même pièce que leurs parents. Ça n’existait pas avant. Ils assistent à la sexualité de leurs parents, comment peuvent-ils se construire ? L’Etat doit dire ‘halte’ ! On est même exproprié de nos terrains, par des nouveaux arrivants et par l’Etat.”
Vous faites référence à votre combat contre les Zones des pas géométriques (ZPG) ?
Faouzia Cordji : « Nous avons les textes qui précisent que les Mahorais sont propriétaires de leurs terres dites en ZPG. J’ai des réponses positives de Christiane Taubira et de Victorin Lurel, mais rien ne bouge depuis 5 ans. Par contre, une demande de classement au titre de monument historique pour une case peut être immédiate ! C’est parce que je ne m’appelle pas Jacqueline ? Les fonctionnaires arrivent à Mayotte comme s’ils avaient tout compris. Je suis malgré tout restée très proche de l’ancien préfet Thomas Degos avec qui j’échangeais lorsqu’il était encore à la direction générale des Outre-mer, il ne dénigrait pas les gens.”
Vous êtes pessimiste ?
Faouzia Cordji : « Non, j’ai confiance dans la nature des hommes et des femmes. Je suis musulmane pratiquante, et un verset du Coran dit « Dieu aime les gens généreux ». Ceux qui ne savent pas écouter les cris des autres sont ignobles.
En plus, on vient nous dire que les engagés volontaires n’étaient pas des esclaves. Mais regardez dans le dictionnaire la définition d’esclave ! Et on a bien porté des colons sur des chaises !
Eh bien, aujourd’hui, l’esclavage n’est plus corporel, mais psychologique et moral. En plus, on vient se comporter en maître, et je m’en fiche d’être fusillée pour ce que je dis !
Je plaints ceux qui rabaissent et sous-estiment les autres, ils ont un champ mental limité. Je suis fière d’être Mahoraise et d’être Africaine. »
Mais alors, vous êtes auriez préféré que Mayotte ne soit pas française ?
Faouzia Cordji : « On va dire que c’est la solution la moins pire. Sans la France, on aurait peut-être continué à manger des vers et des racines. Mais les Buschmann ne sont-ils pas heureux ? En fait quand je regarde l’état des Comores, je me félicite que nous en soyons sortis, mais je souhaiterais que le Mahorais soit traité comme les autres Français et qu’on arrête surtout de nous sous-estimer. »
Trois petites questions annexes. Avez-vous un mentor ?
Faouzia Cordji : « Oui, ma mère qui m’a forgée, ‘tu peux faire ce que tu veux, tant que tu n’offenses pas la société’, me disait-elle ».
C’est le cas ?
Faouzia Cordji : « Mes offenses ne sont jamais gratuites ! »
Un livre ?
Faouzia Cordji : « L’os de la parole », de la Malienne Adame Ba Konaré. Elle y parle de la vie en Afrique, des préjugés ».
Un style ou un morceau de musique ?
Faouzia Cordji : « J’adore les variétés françaises, comme « Ecris-moi» de Bachelet ou « Les divorcés » de Michel Delpech.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Pour le JDM
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