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C’est un fin stratège que nous rencontrons ce mercredi quoiqu’il s’en défende. Saïd Omar Oili nous parle des gens qui l’ont marqué, et des événements, un en particulier, révélateur du partage politique actuel à Mayotte.
Telle qu’il nous la rapporte, l’histoire de Saïd Omar Oili, c’est un peu celle du vilain petit canard du conte d’Andersen. Celui qui dépareille de la portée mais qui transforme son handicap en atout…
Il est né à Dzaoudzi le 20 juin 1957. Son père, billetteur à la barge, meurt lorsqu’il a 7 ans, sa mère lorsqu’il passe le Bac. Sixième d’une fratrie de 9, il se retrouve alors l’aîné, le garçon de la famille, les plus grands étant partis avec les grands-parents à Madagascar.
Ses études vont être marquées à la fois par ce soutien indispensable à sa famille, mais aussi par des rencontres qui vont façonner son destin. Après sa primaire à Labattoir et le collège à Dzaoudzi, c’est à Moroni (Grande Comore) qu’il partira suivre le lycée comme une bonne partie de sa génération. Bien que le niveau y soit supérieur, ces départs sont quasiment jugés comme «haute trahison» par les autorités mahoraises qui ne délivrent alors pas de bourse pour ces étudiants.
Sans moyens financiers, il passe un concours pour intégrer l’armée française, sous contrat de trois ans dans l’infanterie de marine. Bien qu’il résilie son contrat au bout de quelques mois, l’armée reste sa première grande expérience. Il est le chouchou de sa section, est accueilli dans les familles des autres soldats le week-end, alors que le chef de bataillon l’incite à prendre des cours de rattrapage du soir pendant son année muée en service militaire. Certains ne savent pas écrire, un sergent craint de toutes les recrues lui demande de l’aide pour rédiger un courrier, «on a tous dépassé les stéréotypes entre blancs et noirs, l’armée est la meilleure des écoles».
C’est là qu’il a appris à s’endurcir, certains partent au Tchad, ne reviennent pas. Appris à «faire la bringue» aussi…
Il ira jusqu’au bout de brillantes études de droit à Poitiers en obtenant un DESS en Droit de l’Urbanisme, construction et Aménagement du territoire, avec des examens systématiquement validés en juin. Car sans bourse, il doit travailler : comme brancardier à l’hôpital où il est amené à laver les personnes atteintes de cancer, puis devient agent de sécurité de nuit dans la petite usine Dassault de Poitiers qui entretient les MIG. Il faut aussi financer les études de sa petite sœur pour laquelle il obtient son premier prêt, «un risque», de 25.000 francs.
Il commence à militer comme colleur d’affiches pour le maire socialiste de Poitiers Jacques Santrot, mais se lie aussi d’amitié avec des adhérents d’extrême droite, «ils ont découvert que la vertu n’est ni blanche, ni noire», dont il a gardé contact.
Son stage de DESS, Saïd Omar Oili le fait à la direction de l’Equipement de Poitiers où il fait la connaissance du sénateur René Monory et où il doit négocier avec les agriculteurs l’achat de terrains pour bâtir le Futuroscope. Il navigue entre les «nom de D., tu vas nous piquer nos terrains», et les «t’es un bon p’tit gars !»
Lors d’un colloque, un de ses professeurs le met en contact avec un des grands spécialistes de l’urbanisme, Patrick Hocreitère, qui le recrute pour rédiger le Code de l’urbanisme de Mayotte. Un jour, sur son bureau trône un dossier rouge, noté «confidentiel». Il tourne autour, puis ose finalement l’ouvrir. Ce sont des fiches de renseignements sur les élus mahorais, avec une note «Aucune personnalité, diront toujours ‘oui’».
JDM : Comment réagissez-vous ?
Saïd Omar Oili : « C’est le tournant de ma vie. Je rentre à Mayotte, sonné. Après plusieurs heures de réflexion, je comprends qu’il faut garder la capacité de dire non. Arrivé le 17 février 1988, je travaille dès le lendemain. Et là, je nage en pleines «Lettres persanes» : les élus en place sous le joug d’Adrien Giraud, me voient comme une menace qu’ils ont tentée d’étouffer, un jeune qui a fait ses études à Moroni, qui va s’opposer à eux. J’ai eu des pressions, mes chefs aussi. Ça a conditionné mon combat actuel.»
Une période compliquée ?
Saïd Omar Oili : «Oui. Que je vis comme quelqu’un qui sort d’études difficiles, qu’il m’a fallu financer, et qui subit à son arrivée un lavage de cerveau. J’ai donc refusé les partis traditionnels et créé avec quelques amis l’Union de Dzaoudzi, qui deviendra le Nema, Nouvel élan pour Mayotte, et dans le fief du MPM, devenu MDM, du sénateur Henry.
En 2000, le docteur Martial Henry me sollicite pour la rédaction du contrat de ville pour Dzaoudzi-Labattoir dont il est conseiller général. Il me met en avant, et je suis élu à 60% aux élections cantonales de 2001.
J’ai longtemps pensé que l’Etat était responsable de beaucoup de nos maux, notamment du manque de cadres, mais nous avons notre part de responsabilité : il fallait se coucher devant des politiques qui régnaient en maître. En plus, lorsque je suis élu, je tiens un discours qui interroge sur le statut de département, ‘est-ce le seul possible?’ Un ami métro me prédit une traversée du désert…»
Pendant votre présidence, les charges de fonctionnement, dont la masse salariale, croissent considérablement, privant le département de sa capacité à investir. Vous assumez ?
Saïd Omar Oili : «Bien sûr que j’assume ! Lorsque j’arrive, la décentralisation n’a pas été préparée (son prédécesseur était feu Younoussa Bamana, ndlr), l’Etat décide seul. J’embauche des catégories C, oui, mais il y avait déjà une armée mexicaine recrutée par la préfecture. Mais sans ces emplois, que serait devenue Mayotte ? Il n’y avait aucune aide sociale. J’ai également recruté des cadres métropolitains, virés par mon successeur (Ahamed Attoumani Douchina, ndlr).
Je constate alors que l’Etat nous devait 65 millions d’euros, que Soibahadine Ibrahim, alors sénateur, réclame à Yves Jégo, le ministre des Outre-mer de l’époque. Il reconnaît 45 millions d’euros de dettes, appuyé par un courrier du préfet Bouvier. On ne les verra jamais car Attoumani Douchina qui me succède en fait cadeau à ses amis UMP.
Le déficit d’alors est également lié à 26 millions d’euros de recettes inscrits à tort par Younoussa Bamana en 2002, ce qu’a pointé la Cour des comptes.»
Vous avez donné aux maires quelques pistes de bonne gestion. Mais la délinquance est un problème numéro un à prendre en charge par les élus de proximité que vous êtes. Qu’avez-vous entrepris ?
Saïd Omar Oili : «Les gamins écoutent celui qui les éduque. Le conseil départemental doit relancer les financements aux associations, et réorganiser le monde associatif. Et quand il faut de la répression, il faut se donner les moyens politiques d’entrer dans les quartiers, signer une convention comme nous l’avons fait avec la gendarmerie.
Ce matin, et à la suite du rappel à l’ordre que nous avons signé, je me suis présenté en tant que maire à la gendarmerie pour rencontrer un jeune de 15 ans et le questionner, il s’est écroulé en larme. Au moins, je mets un visage. Il y a des élus qui sont dans la jouissance, et d’autres qui travaillent. Je n’ai pas de 4×4 mais une voiture à moi, on n’est pas là pour se servir, mais pour servir. »
Les maires ont un rôle sur l’impact de l’immigration clandestine en laissant monter des bangas sur des terrains communaux. Les Mahorais dans leur ensemble ne sont-ils pas schizophrènes sur ce sujet, avec une volonté de ne pas chasser des cousins, mais en en déplorant les effets ?
Saïd Omar Oili : «Lorsque quelqu’un vient d’Anjouan, tout est déjà négocié en amont. Il sait qui viendra le chercher et l’héberger. On les accueille, et on râle qu’il n’y a pas assez de classes, dans un manque total de cohérence. Mais nous sommes tous cousins, avec une culture, une famille, une religion communes.
Pourtant, à Anjouan, il serait impossible de s’accaparer un lopin de terre comme ici. Et nous en avons besoin pour aménager des équipements publics. Ils doivent donc louer officiellement les habitations avec des adresses en bonne et due forme.
Mais c’est aussi un problème mondial de partage des richesses, tout le monde cherche le confort et la sécurité.
Attention cependant de n’humilier personne ! Certains rabaissent ces populations ici, ça peut nous péter à la figure un jour.»
Un mouvement s’est créé à la suite de l’affaire Mahamoud Azihary-Liétar, « Bassi Ivo », qui parle d’actes coloniaux. Qu’en pensez-vous ?
Saïd Omar Oili : (sourire) Bassi Ivo veut dire «ça suffit», mais «ça suffit» quoi ? La France ? Ils développent une idéologie indépendantiste. En voulant imposer un jeune mahorais diplômé de force, nous sommes dans la même logique que les politiques dominants à l’époque. »
Votre porte-parole au niveau national est le sénateur. Avez-vous des contacts avec vos deux parlementaires ?
Saïd Omar Oili : «Ce n’est pas à nous de les interpeller, ils doivent faire la tournée des différents maires. Vergès dépose un amendement sur l’octroi de mer, nous n’en connaissons pas l’impact pour Mayotte. Ici, chacun travaille dans son coin, alors que nous devrions avoir un interlocuteur unique.»
Trois petites questions plus personnelles. Avez-vous un mentor, un guide qui vous a inspiré ?
Saïd Omar Oili : «Je lis beaucoup Martin Luther King, la non-violence peut changer ce qui paraissait impossible, Gandhi et Nelson Mandela. A ceux qui appelaient à la vengeance à sa sortie de prison, le leader africain a répondu : ‘comment voulez-vous que les autres changent si vous ne changez pas ?’
Barack Obama aussi qui appelle à marier la raison et la passion.”
Un livre ?
Saïd Omar Oili : «J’adore Jean-Jacques Rousseau. Son discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes est écrit par un révolté contre l’injustice. Je le lis tous les matins avant de venir travailler.
Platon aussi, pour son allégorie de la Caverne. Suis-je dans la réalité ? Dans la vérité ?
Et enfin, Emmanuel Levinas.
Un morceau, un style de musique ?
Saïd Omar Oili : « Jean-Jacques Goldman pour ‘Si j’étais né en 17 à Leidenstadt’ et Renault ‘Société, tu m’auras pas’.»
Un entretien qui traduit l’évolution de cet homme politique, promu à d’autres fonctions, nationales, mais qui préfère ne pas en parler et se concentrer sur sa charge de maire de Dzaoudzi-Labattoir, et l’Intercommunalité, voire une prochaine Agglomération de Petite Terre.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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