Nous terminons notre série de portraits à Bouéni. Toute la semaine, à l’occasion des 25 ans de l’Adie, le JDM vous a présenté des Mahorais qui ont créé leur activité grâce au micro-crédit. Aujourd’hui, rencontre avec Fatima dont la vie a radicalement changé grâce, entre autres, à ses qualités de masseuse.
C’était très mal vu de prendre un crédit au tout début des années 2000 à Bouéni. Combien de personnes, dans le sud de Mayotte, ont prédit à Fatima qu’elle finirait en prison ? Ses amies avec lesquelles elle faisait de la broderie se sont même éloignées, de peur, elles-aussi, de subir les conséquences de cette folie. Fatima était pourtant sûre d’elle. Elle venait, grâce à l’Adie, d’obtenir un prêt de 700 francs et une machine à coudre.
C’était une aubaine pour cette femme qui vivait dans un banga traditionnel en torchis et qui n’avait que ses mains pour faire vivre sa famille. Elle commence alors à travailler des tissus puis, peu à peu, à multiplier les activités : poterie, huiles essentielles et massages traditionnels, un des secrets du bien-être mahorais qui se transmet de mère en fille.
«Quand je regarde en arrière, je suis vraiment fière. Avant, quand je voulais du savon, j’étais obligée de demander aux autres. J’étais veuve, j’avais mes enfants et pas d’argent. Je ne pensais pas qu’un jour j’aurai une maison en dur comme celle que j’ai, avec trois chambres et tout le confort.»
Un musée et un salon de bien-être
Fatima a parfaitement su mener sa barque. Aujourd’hui, elle accueille ses clients dans le «musée de l’artisanat» de Bouéni, un ancien dispensaire qui, avec elle, a trouvé une nouvelle vie. Dans ce petit bâtiment en briques, aménagé grâce à un nouveau prêt de 2.200 euros, elle a réalisé elle-même 80% des produits proposés à la vente. Mais l’activité qui l’a faite connaître, ce sont les massages.
La pratique est profondément ancrée dans la culture mahoraise. Dans l’intimité bien sûr, les hommes aiment particulièrement que leur épouse pratique des massages érotiques. Mais les massages à caractère «médical» pour soigner une blessure ou simplement pour apporter du bien-être sont aussi très courants. Les femmes peuvent également se masser entre elles, particulièrement pendant la grossesse. On dit même que les bonnes masseuses peuvent prédire le sexe du bébé.
Ses propres huiles essentielles
Pour chaque type de massage, son produit. Avec des roses séchées, du jasmin, du basilic et des racines, Fatima fabrique ses huiles essentielles comme son huile de coco et le henné.
«Un massage du corps puis de l’eau chauffée parfumée pour se détendre, on est bien pour démarrer une journée ou une soirée. On est parfaitement détendu.»
La majorité de sa clientèle est composée d’hommes. Certains sont même des habitués qui viennent très régulièrement.
Pendant les vacances, les mzungus se rajoutent à sa clientèle mahoraise. «Les Mahorais ont la peau beaucoup plus dure que les mzungus. Avec les métropolitains, il faut masser beaucoup plus doucement. Ils sont bien plus fragiles !» Pendant ces périodes, Fatima pourrait masser toute la journée. Mais aujourd’hui, elle n’en fait plus que cinq par jour. Chaque massage dure 30 minutes et son dos lui rappelle qu’il faut aussi qu’elle prenne soin d’elle.
«Moi, je ne me fais masser que comme cobaye quand j’apprends les gestes aux jeunes filles. Je leur dit : ça, c’est pas bien, il vaut mieux faire un geste comme ça…»
Ne rien changer quand tout a changé
Aujourd’hui, elle n’a plus besoin de crédit. Reconnue dans ses multiples activités, elle a obtenu des subventions de la ville, du Conseil général et de l’Etat pour organiser, en plus de son activité, des ateliers de poterie ou de broderie avec les jeunes. Elle transmet les savoir-faire qui disparaissent si vite, elle raconte aussi comment on vivait à Mayotte du temps des bangas en torchis.
Sa maison n’est plus du tout la même mais le soir venu, Fatima continue de broder comme elle l’a toujours fait.
RR
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