CARNET DE JUSTICE DU JDM. Les trois hommes qui s’avancent à la barre ce mercredi matin sont en tenue de gendarme, «ils sont en service», précise Me Liénard l’avocat de l’un d’eux. Parmi eux, un seul, né à Mayotte, exerce encore dans notre département, les deux autres travaillent à présent en Métropole. Ils doivent répondre de certains de leurs agissements pendant la crise sociale de la vie chère.
Le 7 octobre 2011, manifestations, tensions et violences sont devenues le quotidien d’un mouvement social qui s’enlise. Ce jour-là, un des responsables du port de Longoni appelle les autorités. Aux abords de cette installation névralgique pour le département, des mouvements de foule l’inquiètent. Une grosse centaine de personne se trouve sur la route et la plage de Longoni pas très loin du point faible de la clôture du port. «On voit des adultes, de grands adolescents et des enfants. Certains ont des bouteilles à la main.» Dans le port, on craint alors qu’elles ne deviennent des cocktails Molotov.
Six hommes face à 100 «émeutiers»
Six gendarmes sont dépêchés sur place, six hommes dont la vie ne sera plus la même. En voulant repousser des manifestants, le tir de flashball d’un gendarme atteint un enfant qui est gravement blessé à l’œil. Rapidement, l’incident enflamme les barrages dans tout Mayotte. L’affaire devrait être jugée l’année prochaine.
Mais en marge de ce drame se déroule un événement plus anecdotique. C’est lui qui amène trois des gendarmes de cette équipe devant la justice. Le Chef B.R. est poursuivi pour violence envers un mineur: il a mis une gifle à un enfant de huit ans intercepté sur la plage, au milieu de personnes courants dans tous les sens et de jets de pierres.
Puis, on reproche à B.R. d’avoir mis des steflex aux poignets du gamin, des bracelets en plastique qui font office de menottes. Car l’enfant va être placé dans un véhicule pour être éloigné du port. Ces sterflex sont destinés à l’intimider, pour qu’il donne quelques noms «d’émeutiers», mais aussi à le contraindre dans ses mouvements. Le véhicule dans lequel il est placé contient en effet des stocks de… grenades lacrymogènes. Autant faire en sorte qu’il ne puisse pas s’en servir.
Un interrogatoire au milieu des tensions
A la barre, B.R. nie lui avoir mis ces menottes, personne ne se souvient de ce qui s’est précisément passé, même s’il reconnait les lui avoir enlevés. L’enfant n’a pas gardé plus de cinq minutes ces «menottes» autour des poignets, le temps d’un interrogatoire forcément rapide. Autour d’eux, c’est un déchaînement.
Les deux autres gendarmes sont poursuivis pour ne pas être intervenus, ne pas avoir empêché B.R. de commettre ces «actes violences» qu’on lui reproche, la gifle et les menottes.
Me Souhaili, l’avocat de l’enfant et de sa famille, met en avant le préjudice pour le gamin qui «se prend une gifle par des personnes qui sont censées le protéger.» L’avocat réclame 3.000 euros de dommages et intérêts et 500 euros de frais de justice car l’enfant a désormais peur des gendarmes.
Un avertissement
Le réquisitoire du procureur est tout en modération, un réquisitoire qualifié de «raisonnable» par la défense. Le procureur explique qu’à l’époque, «tous les moyens de la gendarmerie étaient mobilisés. Il a fallu saupoudrer les forces disponibles pour protéger les axes et les installations, raison pour laquelle, ils n’étaient pas tous formés à des opérations de maintien de l’ordre». Ils étaient pourtant amenés à gérer des situations de tensions et de crises aigües. «Je ne peux pas vous dire que gifler un enfant de huit ans n’est pas un délit. Je ne peux pas dire qu’utiliser des sterflex pour un mineur, c’est autorisé», convient, presque à contre cœur le procureur qui demande une peine qui vaut avertissement.
Et pourtant. Menotter un mineur, c’est bel et bien autorisé va expliquer Me Liénard, l’avocat de B.R. C’est quelque chose de prévu et d’encadré par la loi. Pour lui, parler de violence dans ce cas n’est donc pas pertinent.
Quant à la gifle, il met en garde le tribunal sur la victime, «l’enfant innocent». «Des enfants de huit ans, qui jouent avec des bâtons et des piques de parasols pour ‘casser du bleu’, voilà l’innocence dont on parle.» Et Me Liénard de parler de violence admissible : «Le fait de dire à un gamin ‘eh, arrête de déconner’, c’est une violence admissible.»
«Vous ne jugez pas des délinquants»
L’avocat fait également une longue plaidoirie sur le rôle et les missions des forces de l’ordre, dont il est spécialisé dans la défense. Il rappelle qu’en portant l’uniforme, 35 hommes et femmes sont blessés chaque jour et 22 y laissent leur vie chaque année en France. «Vous ne jugez pas des délinquants. Vous jugez des gens dont la moralité est à l’exact opposé de la délinquance.»
Le gendarme poursuivi pour violence est déclaré coupable mais dispensé de peine. Il devra verser 500 euros de dommages et intérêts à la famille de l’enfant et 500 euros de frais de justice. Les deux hommes poursuivis pour ne pas avoir empêché ces «violences» sont relaxés. «C’est une juste peine», reconnait Me Souhaili, l’avocat de la victime.
RR
Le Journal de Mayotte
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