CARNET DE JUSTICE DU JDM. Voici une nouvelle affaire impliquant une bande. Ce sont encore les traditionnelles tensions entre deux villages qui étaient jugées ce mercredi matin à l’audience correctionnelle mais l’affaire avait un caractère particulier. Cette fois, ce n’était pas un nouveau «match» Poroani-Chirongui dont il était question, mais plutôt une expédition punitive : «Ça n’a rien à voir avec une bagarre entre bandes rivales, prévenait Me Journiac, l’avocate de la victime principale. Ils étaient 11 à s’acharner sur un seul garçon, à terre… Quel courage messieurs !»
«Je croyais qu’ils tuaient un chien», dira un témoin.
C’est l’histoire d’une vengeance qui va se traduire par une incroyable explosion de violence. Le 16 novembre 2013, en début de soirée, Daroueche reçoit un coup. Rien de bien méchant, sauf qu’il a l’alcool mauvais. Quand il boit, il est rapidement violent. Ce soir-là, il va décider de se venger en embarquant son frère Ridjali sur lequel les effets de l’alcool sont encore plus radicaux. Problème : ce soir-là, il a descendu une bouteille de whisky. Au début, ils partent avec deux amis mais «on nous jette des bâtons» dira-t-il. Alors ils partent chercher du renfort et ramènent leur petite bande : 11 garçons, mineurs ou jeunes adultes dans une 206 trois portes.
A 35 ans, Ridjali est le plus vieux de tous. «Dans toutes les sociétés, les plus âgés ils servent à quoi ?» demande le président Rieux. «A calmer les plus jeunes», répond Ridjali, tardivement conscient de l’immaturité de sa réaction.
Il percute un groupe de jeunes en voiture
Des 11 agresseurs présumés, seuls 4 sont à la barre. Cinq autres sont mineurs et passeront devant le juge pour enfants. Les deux derniers n’ont pas été poursuivis. Les deux frères sont clairement les instigateurs, la justice considère même la voiture de Ridjali comme une arme. Il va en effet percuter un groupe de jeunes qu’il croise sur la route. Parmi ces gamins se trouve l’auteur du coup porté contre Daroueche plus tôt dans la soirée. Mais le reste du groupe qui revient d’une fête religieuse n’a rien à voir avec l’altercation. Peu importe, c’est sur eux que la colère des deux frères et de leur bande va s’abattre.
Au premier passage, la voiture a percuté deux jeunes du groupe. Au deuxième, une portière ouverte au bon moment permet d’en bousculer un 3e. La 206 s’immobilise, c’est l’heure de la bagarre. Le groupe prend alors la fuite, en direction de la mangrove. La plupart des jeunes resteront d’ailleurs plus de deux heures cachés dans l’eau, terrorisés à l’idée d’être rattrapés par la bande. Mais il y en a un qui n’arrivera jamais à s’enfuir.
Ils tentent de lui scier la jambe
Hugo est le seul mzungu du groupe. Âgé d’une quinzaine d’années, c’est un jeune homme assez frêle. Il vit à Mayotte depuis 3 ans et tous ces amis sont du sud, il parle d’ailleurs le kibushi. Mais il court peut-être moins vite que les autres et surtout, il est en tongs. L’une d’elle se casse, il trébuche et se fait rattraper par la bande en furie. Un premier coup de batte de baseball le met définitivement à terre. Les coups s’abattent sur lui, de poings, de pieds, au visage et sur tout le corps, sans parler des armes : bâton, couteau, pierres et un chombo qui va être utilisé d’une façon assez particulière. Pas pour donner un coup. Pour cisailler sa cuisse, comme si son agresseur avait la volonté de lui couper la jambe. «J’ai cru que j’allais mourir, confie le jeune homme aux gendarmes. Et j’ai pensé à ma mère, je me suis dit qu’elle serait triste si je mourrais.»
Hugo s’en est sorti parce qu’il a fait le mort pour faire renoncer les assaillants. Il doit aussi son salut à un de ses agresseurs. Parmi les 11, l’un des gamins se rend compte qu’il connaît Hugo, il va arrêter la bagarre, le soulever et le ramener vers la route. Un véhicule s’arrête alors et va conduire l’adolescent en sang au dispensaire de Mramadoudou.
Traumatisme crânien, contusions multiples, plaie profonde à la main (il a attrapé un couteau à pleine main pendant que les coups pleuvaient) et surtout une plaie profonde à la cuisse… Hugo s’est rendu compte que son fémur était à vif une fois dans la voiture de son sauveur.
La volonté de ramener le calme
Un an après, Hugo a fait de nombreux passages à l’hôpital, dans les dispensaires et chez les kinés. Ses plaies qui se sont infectées ont eu du mal à cicatriser et les nerfs sectionnés de la cuisse sont douloureux. Ils mettront une bonne dizaine d’année à repousser. Blessure morale, dira également Me Journiac, pour celui qui n’est plus seulement un gamin de Chirongui mais «la victime de Chirongui».
Ses amis voulaient le venger, à leur tour, et entretenir le cercle de la violence. Hugo et sa mère les en ont empêché : «Je veux une vraie réponse des juges, qu’ils me donnent raison de leur avoir fait confiance», aurait dit le jeune homme à son avocate.
Daroueche est condamné à 4 ans de prison dont trois ferme, son frère Ridjali à 3 ans d’emprisonnement dont 2 ferme. Tous deux ont obligation d’indemniser les victimes, de suivre des soins pour régler leur problème d’alcool, et l’interdiction de porter une arme. Les deux autres agresseurs écopent de 6 mois de prison avec sursis.
Le tribunal a demandé une expertise médicale pour qu’une audience civile fixe le montant des dommages et intérêts. En attendant, les 4 sont condamnés solidairement à verser 3.000 euros à titre provisionnel à Hugo et sa mère.
Hugo, ses amis et sa mère sont repartis vers Chirongui en espérant que cette réponse judiciaire soit satisfaisante pour tous et que le calme prévale enfin entre les villages.
RR
Le Journal de Mayotte
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