L’agriculture mahoraise est classée depuis toujours dans la catégorie « pré-développement ». Un mot pour dire que beaucoup reste encore à faire. L’Europe est attendue comme une bouée de sauvetage, encore faut-il savoir par quel bout la prendre, comme le sous-entendait le général De Gaulle dans cette exclamation.
L’Europe et ses fonds prononcés en acronyme, FEDER, FEADER, FSE, LEADER, TO, sans oublier le premier d’entre eux : RUP…. « On n’y comprend rien ! », s’exclame Roukia Lahadji, maire de Chirongui, « moi, je veux juste savoir comment je fais si je veux aménager une piste rurale ». Un autre, Ali Ambody, président d’un acronyme paysan, celui-là, le Modef, se plaindra de déficience d’ingénierie.
Ce n’est pas faute de communication de l’Etat ou du conseil général, mais la condition même de Mayotte, très récente Région européenne à la périphérie de l’Europe (RUP), donc géographiquement excentrée, y est pour beaucoup. Alors que Philippe Laycuras, Secrétaire général aux Affaires Régionales de la préfecture, glissait qu’il fallait s’y mettre, « Mayotte et son agriculture n’ont-elles pas elles aussi leurs sigles, COOPAC, COOPADEM… »
Car ce samedi matin, tous les décideurs, acteurs du monde agricole, maires, conseillers de tout genre étaient conviés par la préfecture et le conseil général dans l’hémicycle Younoussa Bamana pour parler du programme de développement rural, indispensable pour Mayotte et son agriculture, et le premier de tous les territoires français à avoir été adopté par la Commission européenne ce 13 février , avec les Açores et Madère.
Le développement agricole étant « une priorité de la préfecture du 101e département », comme le rappelait le sous-préfet, on ne peut que s’en réjouir, surtout que ce programme rural a été entièrement monté au sein de la Direction de l’alimentation, l’agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte, avec les acteurs locaux, « sans avoir recours à un cabinet de conseil ».
Des sommes maigrelettes
Cela signifie que plus de 80 millions d’euros y seront investis : 60 millions de l’Europe, et 20 millions en cofinancement obligatoire, de la part de l’Etat ou du conseil général ou des communes. L’hémicycle était d’ailleurs rempli pour un samedi matin, et beaucoup d’acteurs étaient en demande d’explications.
Avant d’en dévoiler les affectations, les priorités du développement rural étaient rappelées, toutes tournées vers l’amélioration de la viabilité des exploitations agricoles et la préservation de l’écosystème.
Lorsqu’apparaissent les répartitions, c’est l’insatisfaction qui domine : l’un demandant davantage que les 4,5 millions d’euros affectés à l’eau agricole, l’autre se désolant des maigres 14 millions d’euros de pistes rurales.
Pour Daniel Laborde, à la tête de la DAAF, il n’y a pas lieu de trop s’alarmer des faibles montants alloués à Mayotte pour se concentrer sur les recoupements, « un projet sur l’eau va à la fois drainer la ligne 431, mais aussi celle qui concerne la modernisation des outils de production », tout en signalant qu’une réorientation des sommes sera effectuée en 2018 en fonction de l’état de consommation d’un programme.
Alors que Philippe Laycuras mettait encore une fois en garde, « la plus grande crainte ne porte pas sur le montant, mais sur la capacité à le consommer. Si un des cofinanceurs que sont le conseil général, les communes ou l’Etat fait défaut, l’argent repart à l’Europe ».
Justement, les agriculteurs s’interrogent sur leur capacité à investir dans leurs exploitations avant d’obtenir remboursement de l’Europe : « les banques vont-elles nous suivre ? Si nous nous regroupons, comment se fera la répartition ensuite ? » La technicienne du conseil général informait d’une démarche effectuée auprès des établissements bancaires, « ils ont rencontré les professionnels de la Commission sur la question de préfinancement », et d’un accompagnement du département.
De son côté, Kevin Poveda, de la cellule européenne de la DAAF, expliquait que les acomptes pourraient être versés aux porteurs de projet, « voire même des avances ».
En ce qui concerne les chemins ruraux, le conseil général semble en avoir la compétence en attendant de la déléguer aux communes, ce qui ne semblait pas clair pour la maire de Chirongui. Des hésitations qui retardent la mise en forme des projets. Et dans les cas de compétences déficientes dans les collectivités, possibilité est offerte d’avoir recours à un cabinet de conseil et d’en obtenir remboursement par l’Europe.
La matinée se poursuivait sur la présentation du LEADER, autre sigle qui recoupe 5% des actions du Fonds européen agricole (FEADER) sous la forme d’un Groupe d’action local (il y en aura 3 à Mayotte). Ils doivent relier plusieurs projets entre eux sur des secteurs aussi différents que l’agriculture, l’industrie, l’artisanat, le commerce ou les services… une sorte de synergie de développement.
Une matinée qui tire son succès de la forte mobilisation de tous ceux qui attendaient des réponses concrètes à cette entité complexe qu’est l’Europe.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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