CARNET DE JUSTICE DU JDM. Près de 5 heures et demi d’audience pour instruire une seule affaire. Il est rare que le tribunal correctionnel de Mamoudzou prenne autant de temps pour instruire une affaire. Mais cette audience venait conclure quatre années d’un scandale présumé qui avait entaché un service de la préfecture de Mayotte, celui des étrangers.
Deux fonctionnaires sont poursuivies en tant que «personne chargée d’une mission de service public» pour corruption passive (également appelée trafic d’influence) et de corruption active. Pour avoir facilité l’obtention de titres de séjours et de récépissés à des étrangers en 2009 et 2010, elles encourent jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d’amende.
Un 3e individu avait également été poursuivi avant d’être relaxé en 2011.
Nombreuses garde à vue
L’affaire avait fait du bruit et avait conduit plus de la moitié des 24 fonctionnaires du service en garde à vue. Les enquêteurs voulaient établir si ces accusations de corruption présumée ne concernaient que ces personnes ou s’il s’agissait d’un système beaucoup plus vaste. Finalement, l’affaire s’est concentrée sur ces deux femmes.
Le dossier débute de façon très étrange par la plainte d’un homme, un Comorien dénommé Moustoifa. Il a rencontré une femme qui lui promet des papiers contre une somme d’argent conséquente. Le prix d’un titre de séjour est fixé à 3.400 euros. L’homme ne verra jamais ces documents et il dénonce la femme à la police. Les enquêteurs trouveront bien une fonctionnaire portant le même prénom à la préfecture mais ce n’est pas celle qui a escroqué notre homme.
Pourtant, cette femme ne va plus quitter l’attention des enquêteurs et, même si elle n’est pas impliquée dans la plainte initiale, elle va se retrouver au cœur de cette affaire et ce mercredi à la barre.
Elle est en poste à la préfecture depuis 18 ans et au service de l’état civil depuis 2001. Le motif d’une éventuelle corruption est tout trouvé : plusieurs de ses chèques sans provision ont été rejetés et elle a du mal à subvenir seule aux besoins de ses 4 enfants depuis le départ de son mari.
Elle incrimine sa collègue
Elle est placée en garde à vue et une perquisition est menée chez elle. On y trouve des titres de séjours, des récépissés et divers documents administratifs rangés dans les meubles des chambres de ses filles.
Elle peine à justifier ces éléments troublants, elle change de version et finit par reconnaître que parfois des gens viennent demander de l’aide et qu’ils peuvent lui donner des cadeaux. Ce peut être des salouvas mais parfois, c’est aussi de l’argent, jusqu’à 300 euros.
C’est au bout d’une longue journée d’audition qu’elle finit par «craquer» selon les mots du procureur. Elle raconte une histoire et accuse la seconde fonctionnaire poursuivie.
Cette 2e femme travaillait, elle, au service des étrangers depuis 2006 dans la section qui délivre et renouvelle les titres de séjour. Cette fonctionnaire doit, elle aussi, assumer seule ses quatre enfants avec son seul salaire.
La première aurait demandé à la seconde d’accélérer le traitement de quelques dossiers avant que les deux femmes s’entendent, devenant complices d’un petit trafic. Pour 1.500 euros, dont 1.000 payables à la commande, les dossiers et récépissés étaient traités et imprimés en accéléré, grâce à des codes pour utiliser les logiciels qu’elles se seraient procurés.
Elles nient les faits
Pour la seconde, la dénonciation libère des langues. On lui reproche sa «proximité» avec les demandeurs. Des collègues affirment même qu’elle imprimerait des dossiers le soir. Pourquoi ses personnes mentiraient-elles ? Peut-être des vengeances personnelles, comme celle d’une ancienne colocataire.
Au final, les deux femmes auraient accéléré 5 dossiers pour un total 7.500 euros qu’elles se seraient partagés.
A la barre, les deux femmes nient. La première est revenue sur ses aveux depuis longtemps, affirmant avoir tout inventé sous la pression policière. Elle a même présenté des excuses à la seconde pour l’avoir incriminé sans raison, une deuxième prévenue qui fond en larme et tente de justifier tout ce qui pourrait laisser planer un doute.
Un dossier insuffisamment étayé
«La pierre angulaire du dossier, ce sont les aveux», affirme le procureur Alik. Il reconnait que l’instruction n’est pas parfaite, mais en ajoutant les perquisitions et les témoignages, la condamnation est acquise. «Elles nous disent ‘tout le monde ment sauf moi’ alors que tous les éléments sont à charge».
Il finit tout de même par nuancer, reconnaissant que ce n’est pas une organisation criminelle. Il réclame 2 ou 3 ans d’interdiction d’exercer dans le service et une peine de prison inférieure à un an assortie de sursis.
«Les aveux sont la pierre angulaire du dossier ? Je lui dis chiche !» répond Me Kamardine qui souligne la rétractation de sa cliente et les manques de l’enquête. «On n’a pas vérifié les dossiers des étrangers. Est-ce qu’ils ont obtenu des titres, est-ce qu’ils ont réellement versé de l’argent ?»
«Monsieur le procureur a fait des aveux lui aussi. Son dossier n’est pas suffisamment étayé», rajoute maître Konde. Si pour l’avocat, il semble évident qu’à l’époque, il y avait des dysfonctionnements au service étrangers de la préfecture, la notion de corruption –active ou passive- est loin d’être établie.
Après cette longue audience, le tribunal se donne encore le temps de la réflexion. L’affaire a été mise en délibérée au 15 avril.
RR
Le Journal de Mayotte
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