Les trois agents mis en cause dans une affaire de corruption présumée au service des étrangers de la préfecture de Mayotte ont été placés en détention provisoire. Ils comparaissaient en appel ce mardi devant la chambre de l’instruction. L’enquête se poursuit.
Il est arrivé libre. Il est reparti menottes aux poignets en direction de Majicavo. Le ciel semblait tomber sur la tête de cet agent de sécurité.
Il est mis en cause avec deux fonctionnaires de la préfecture de Mayotte dans des faits de corruption. Tous trois comparaissaient hier mardi devant la chambre de l’instruction de l’océan Indien en visioconférence: à La Réunion, les magistrats et l’avocat général (procureur). A Mayotte, les avocats et les 3 prévenus, mais l’un d’entre eux n’avait pas reçu sa convocation, il était absent.
Cette procédure en appel consistait à savoir ce qu’allaient devenir les trois prévenus durant l’enquête. La femme contestait son placement en détention et voulait obtenir une remise en liberté sous contrôle judiciaire. Le parquet, à l’inverse, souhaitait obtenir l’incarcération des deux hommes qui eux, avaient été maintenus en liberté sous contrôle judiciaire.
Une dénonciation à la PAF
Cette audience publique permettait d’en apprendre un peu plus sur cette affaire qui a démarré avec une dénonciation. Un ressortissant comorien s’est rendu à la PAF pour expliquer le système dont il avait bénéficié : moyennant 500 ou 600 euros, on pouvait grandement accélérer l’instruction des dossiers de cartes de séjour au sein des services de la préfecture de Mamoudzou.
L’enquête est lancée et permet de découvrir que l’agent de sécurité d’une entreprise privée est au cœur de ce système. Il perçoit l’argent puis en reverse une partie à des rabatteurs qui orientent les étrangers ainsi qu’à une femme fonctionnaire, chargée d’envoyer les convocations.
L’agent de sécurité explique aux enquêteurs qu’il a fait accélérer une vingtaine de dossiers mais les enquêteurs ont des suspicions sur un nombre plus important. Lorsqu’il a été interpellé, il était en possession de 600 euros que venait de lui remettre un Comorien… Le système durait au moins depuis septembre 2014.
«Certes j’ai dérapé, j’ai fait une erreur et je le regrette énormément. Mais je ne suis pas un criminel», s’est-il défendu ce mardi matin.
L’immoralité
La femme aussi aurait reconnu son intervention dans une vingtaine de dossiers mais sur son bureau, les enquêteurs en ont trouvé une trentaine de plus qui manifestement ne suivaient pas la procédure normale.
Enfin pour le 3e homme, chef de bureau, on évoque cinq dossiers accélérés contre 500 euros et d’autres contre un billet d’avion pour Madagascar. On évoque aussi des contreparties qui ne seraient pas financières mais des faveurs sexuelles demandées à des femmes… «Abjecte», lance l’avocat général.
A La Réunion, l’avocat général est sans pitié face à cette «immoralité». Pour lui, ces actes de corruption présumés ont été commis par des «privilégiés, fonctionnaires à Mayotte» qui ont exploité «la situation tragique de personnes venues des îles Comores voisines, déjà pressurisées comme des citrons par des passeurs, qui ont vécu un voyage épouvantable et qui, une fois sur le territoire français, sont victimes de ces actes.»
Quelle ampleur pour «ce trafic» ?
«L’affaire ne fait que commencer et nous n’avons, à l’heure actuelle, que des déclarations à minima», indique l’avocat général. «Les pièces saisies montrent que le trafic est plus important et mérite une enquête approfondie. Aucune victime n’a encore été entendue. Une fois qu’on aura identifié ces personnes, il faudra les voir une par une et c’est là qu’on va mesurer l’ampleur du trafic. Il faut éviter que des pressions soient exercées.» Comme attendu, il demande que les trois individus soient placés en détention provisoire.
Les avocats vont ensuite tenter de défendre les prévenus mais aucun des trois ne parviendra à convaincre les magistrats. Finalement, les deux hommes vont rejoindre la fonctionnaire déjà incarcérée. A l’issue de cette audience, les trois mis en cause sont placés ou maintenus en détention provisoire.
L’agent de sécurité est donc parti encadré de gendarmes tandis qu’un mandat d’arrêt est lancé contre le chef de bureau, absent de l’audience.
Alors qu’il n’existe pas encore de quartier de femmes à Majicavo, la prévenue va donc rester dans sa cellule d’isolement.
L’enquête se poursuit alors que ce mercredi matin, le tribunal correctionnel doit rendre son délibéré dans une affaire de corruption présumée vieille de 6 ans, également au service des étrangers de la préfecture.
RR
Le Journal de Mayotte
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