Proposer aux jeunes de s’engager dans des filières en besoin de personnel à Mayotte, du médecin à l’assistant, en passant par le sage-femme, c’est une première du lycée Younoussa Bamana de Mamoudzou.
Mayotte, désert médical. Pour dépasser le constat, des mesures d’incitations financières ont été pensées. Elles n’ont pour l’instant drainé que des mercenaires, des praticiens qui arrivent sur le territoire pour 3 mois sans implication dans la politique de santé à moyen terme. Peu de travail a été fait en amont pour sensibiliser les jeunes de l’île à ces métiers de vocation.
C’est ce qu’a voulu impulser le docteur Bayonne, déjà moteur d’une formation qualifiante pour les professionnels l’année dernière, en proposant au lycée Bamana de Mamoudzou une matinée d’information ce jeudi matin.
Il a reçu l’oreille attentive du Conseiller principal d’Education, Michel Bouchaib, avec qui il a organisé l’accueil de cinq professionnels de la santé : « il s’agit de répondre aux interrogations des jeunes et inciter à introduire une première année de médecine à Mayotte », glisse Laurent Bayonne.
Massoundi Oumar pour commencer, le sage-femme qui à Mayotte n’hésite pas à informer sur sa profession et son parcours. La première interrogation passée sur un homme qui exerce une profession marquée au fer rouge comme exclusivement féminine, « on l’a d’ailleurs rebaptisée ‘mailloteur’ », les questions fusaient parmi les huit classes de première et terminale S, surtout après avoir entendu qu’il fallait suivre la première année de médecine : « on a le temps pour le sport ou les loisirs ? ».
Des astuces… et du travail
Catégorique la réponse fuse, « non ! je n’ai fait que travailler. » Et Massoundi Oumar revenait sur son parcours personnel : la primaire et le collège à Chiconi, le lycée à Sada conclu par un bac S, « sans mention, mais je savais que je pouvais faire mieux. En première année de médecine, 70% des étudiants prennent des cours supplémentaires pour y arriver, certains coûtent autour de 5 000 euros. J’ai demandé à un ami de me les passer, et j’ai travaillé sans relâche. C’est un marathon, mais je l’ai eu ».
Les mieux classés passent en 2e année de médecine, les autres bifurquent. Des questions portaient sur les matières, « ce sont les mêmes qu’au lycée ? ». « Pas du tout. Quand vous passez un cours sur la composition de la cellule, nous passons 20h uniquement sur la membrane ! ». Des exclamations ponctuaient cette projection dans le monde étudiant, les stylos s’affolaient sur les papiers, et pratiquement tous les doigts se levaient pour assurer d’une motivation pour ces études. Encourageant de l’avis des organisateurs.
Le salaire ne fait pas l’homme
Bien sûr certains nez se tordaient lorsque le sage-femme parlait des quatre années suivantes pour valider le diplôme, et c’était carrément des exclamations qui accueillaient le chirurgien dentiste et le docteur Abdeli Ouadah, ophtalmologiste, lorsqu’ils évoquaient les 7 ans de tronc commun de médecine, ajoutés aux 5 ans de spécialisation… « Mais vous êtes payés pendant ces 5 années, vous êtes interne ! ».
De salaire, il en fut beaucoup question dans les échanges, des 2 000 euros touchés par un(e) sage-femme à l’hôpital, aux plus de 6 000 euros en libéral, pour finir par les 85 000 euros d’un médecin généraliste ou des 120 000 euros d’un spécialiste. « Mais ne regardez pas le salaire, aimez ce travail. Parce qu’il faut pouvoir trouver de l’énergie quand vous avez 20 ou 30 patients par jour », recommandait le docteur Ouadah.
Parfois les questions partaient dans tous les sens, preuve que ces jeunes n’ont pas encore toute la connaissance nécessaire pour envisager leur « post-bac ». Mais il permettait au CPE de rebondir par exemple vers d’autres domaines, « vous pouvez aussi tenter médecin militaire, c’est moins compliqué ». Porter haut l’espoir sur une île où l’on a tendance à sous-estimer ses possibilités, voilà qui est moteur.
De même que l’assistante dentiste présente à cette matinale d’information, faisait l’objet d’intérêt : « vous pouvez le devenir grâce à la validation des acquis de l’expérience, sous réserve d’avoir exercé 3 ans dans un cabinet, et d’être jugé d’un niveau suffisant ».
Tous ne finiront pas médecins ou infirmiers, mais si quelques élèves ont pu trouver une motivation, le pari est gagné, « surtout qu’il faudra revenir travailler sur votre île, les besoins sont énormes », concluait Michel Bouchaib.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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