Les membres du Conseil Economique social et environnemental (CESE) de Mayotte ont eu droit à un cours magistral de la part de Jean-Paul Delevoye, sur leur rôle de chantre de réflexion sur l’évolution de la société mahoraise et son rapport à la métropole. La bascule vers un nouvel ordre mondial a été longuement évoquée. Ça devenait presque gênant d’interpeller le président du CESE national sur la délinquance et le peu d’attractivité qui en découle pour Mayotte.
C’est que, s’il a écouté sur leurs difficultés les agriculteurs hier, ou le personnel hospitalier en visitant aujourd’hui le Pôle mère enfant du CHM, Jean-Paul Delevoye voulait rappeler aux conseillers économiques leur rôle : celui d’insuffler un débat d’idées, d’avoir une vision pour le territoire, « les plus résistantes n’ont pas été les sociétés les plus puissantes, mais celles qui ont su anticiper et s’adapter ».
Il rappelait son point de vue sur l’histoire, sur la mutation nécessaire du monde économique actuel : « la société n’est pas en crise, mais en métamorphose. On s’en apercevra à la sortie de la crise financière. Comment accepter que système capitaliste injecte des milliards de dollars sans provoquer de la croissance. 90% des richesses restent dans les mêmes mains, le développement des inégalités ne peut qu’être facteur de tensions. » Voilà qui va réjouir les visionnaires comme Pierre Rabhi qui voient depuis des années la croissance comme un problème, pas une solution.
Après avoir dressé cette critique, la bonne vision mutuelle entre la France et Mayotte, c’est lui qui va la donner, « en apportant en métropole des lunettes mahoraises, et à Mayotte des lunettes métropolitaine ». Avec un mea culpa enfin : « la France a longtemps eu un sentiment de supériorité plutôt que de compréhension vis à vis d’autres cultures. Elle a maintenant compris qu’il fallait s’appuyer sur leurs potentialités ».
« Vous découvrez que vous êtes noirs en arrivant à Paris ! »
Trois axes sont proposés au CESE, et donc par ricochet à Mayotte : travailler sur une prospective en faisant table rase du passé tout d’abord, « en remettant en cause l’ordre établi. Dans ce cas, le futur n’est pas la continuité du présent, mais la contestation du présent », en ayant « une capacité d’impertinence ».
Le CESE doit avoir une influence sur le pouvoir ensuite, « et non exercer un pouvoir. Les femmes l’ont bien compris ! En France, on est trop attaché à l’apparat, ce qui induit que le pouvoir central a toujours cherché à détruire le pouvoir régional ». Il faisait remarquer que l’Allemagne procédait strictement à l’inverse avec ses régions. « Du coup, à Mayotte, vous pensez que vous êtes Français, mais vous découvrez que vous êtes noirs en arrivant à Paris ! La France doit s’ouvrir aux diversités », répétait-il.
Il faut enfin arrêter d’avoir des lectures comparatives des territoires, « mais s’attacher aux potentiels que chacun d’entre eux peut développer ». Pour cela, le pouvoir syndical doit être renforcé, « mais avec une recherche de l’intérêt collectif et non individuel, sans mener des grèves que personne ne comprend, ce qui permettra une adhésion populaire ». Avec une critique appuyée de la gestion française de ses Outre-mer, mais aussi de toutes ses composantes : « un chômeur n’est pas un raté, un élève mauvais non plus. Ce sont des richesses que l’on perd. »
En revanche, il faut “faire le job”
Mais des critiques envers la gestion Mahoraise aussi, en sous-entendant qu’on ne peut tout attendre de la France quand « on ne fait pas le job », « notamment quand les maires envisagent les emplois aidés comme des faveurs envers leurs électeurs. Ils plombent leur budget par les charges de fonctionnement », ou « quand j’entends râler parce que les constructions scolaires ne sont pas en dur. Mais c’est peut-être le meilleur moyen de relever le défi du nombre ! », ou encore « quand j’entends parler de freins au tourisme mais quelles actions sont menées contre les déchets ou pour l’assainissement ? »
Et tout en fustigeant des constructions 30% plus chères qu’ailleurs, « un vrai souci de transparence »…
Ces expériences à mener sur une vision du territoire, du rapport à la France doit commencer par la langue : « un enfant qui se voit imposer le français à l’école va se retrouver pris entre deux autorités, celle de ses parents et du milieu scolaire. Il faut mener des expériences avec les langues locales en prenant garde de ne pas induire un développement du territoire uniquement mahorais qui vous priverait d’échanges au monde ».
Interrogations sur le visa Balladur
Un tableau tout en perspectives de long terme, que les membres du CESEM ramenaient aux priorités du territoire, dont la délinquance. Ce n’est qu’aux journalistes qu’il répondra que « la réponse sécuritaire n’est à l’évidence pas suffisante, sans posséder de réponse précise ». Une note sur ce sujet sera transmise à Manuel Valls avant son arrivée à Mayotte en juin.
Sur le thème de l’immigration, il s’interroge sur un travail indispensable à mener avec les autorités comoriennes, « nous investissons des sommes considérables à Mayotte pour répondre à l’immigration, notamment dans l’hôpital, pourquoi ne pas apporter notre technicité là-bas ? » Et de reparler d’un allègement du visa Balladur : « certains refusent par peur de paraître lâcher face à l’Union des Comores. Mais d’autres pensent que ce serait un moyen d’identifier et de démanteler les réseaux de fabrique de bateaux clandestins ». Un problème mondial, comme il le rappelle « la sanction d’un développement à deux vitesses, entre pays, mais aussi à l’intérieur d’une même nation ».
Pour Dani Salim, agriculteur et ex-président de la Chambre d’agriculture, c’est la loi littoral qui pose un problème d’installation à tous les agriculteurs qui ne peuvent se loger sur leur propre terrain et surveiller leur production. Un sujet sur lequel Jean-Paul Delevoye bottait en touche et qui est pourtant un exemple des textes métropolitains qu’il appelait à adapter au besoin du territoire, puisque les terrains sis au centre d’une l’île à la faible superficie sont classés en zone littorale…
Le président du CESE aura rappelé au CESEM ses missions de force de proposition à long terme, « nous savons qu’il va rapporter en métropole les problèmes de Mayotte sans parti-pris », nous confiait Abdou Dahalani, son président.
« Cultivez l’estime de vous même, vous avez un potentiel supérieur à la métropole. La comparaison des chiffres, des salaires n’a rien à voir avec le bonheur, la notion d’épanouissement est à privilégier plutôt que la performance. Or vous avez ici naturellement la philosophie du partage. Il y a de la pauvreté, mais peu de misère car vous partagez », sera le mot de la fin du président Delevoye.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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