Le procès en appel de l’affaire de «la tête de cochon» se tenait ce jeudi matin à Mamoudzou, en l’absence des trois principaux protagonistes. Le jugement a été mis en délibéré au 9 juillet.
Il faudra attendre le 9 juillet pour connaître le jugement en appel de l’affaire dite de «la tête de cochon». Le délibéré sera donc rendu en plein mois du ramadan, dans un dossier où s’entremêlent la religion, la tolérance, le racisme mais aussi la bêtise.
En première instance, le jugement avait surpris par sa fermeté. Les deux femmes mises en cause avaient écopé de 9 mois de prison dont 3 ferme. Le militaire, conducteur de la voiture, avait été condamné à 6 mois avec sursis. Cette sentence avait été exemplaire car, selon les mots du procureur Garrigue, c’était alors la première fois qu’une profanation de mosquée était jugée en France.
Retour sur le réveillon de la bêtise
Le tribunal est donc revenu sur cette nuit de réveillon de la Saint Sylvestre 2013. La femme d’un légionnaire reçoit 23 amis autour de deux cochons grillés à la Tahitienne, «et de dizaines de verres de rosé-pamplemousse et autant de vin». Durant cette soirée à l’ambiance est peu subtile, elle lance l’idée de déposer une tête de cochon devant une mosquée de Labattoir, incitant un couple sur le départ à 4 heures du matin à relever le pari.
La carcasse est posée sur la rambarde de la mosquée et la femme qui l’installe photographie son geste. Elle postera ensuite le cliché sur les réseaux sociaux.
La déflagration est immense à Mayotte jusqu’à rassembler des milliers de personnes, calmes mais choquées, dans les rues de Petite Terre les jours suivants.
Un acte raciste
Me Ahamada et Me Larifou représentent les parties civiles, une association de Labattoir qui gère la mosquée et qui a pour objectif de promouvoir la religion musulmane mais également de «lutter contre l’intolérance en matière religieuse».
«Cette association a porté la dignité de la population mahoraise et elle intervenue pour circonscrire la passion», explique Me Larifou. «Dans cette affaire, on ne veut pas la tête des prévenus. On est dans un territoire qui cherche des repères, culturels, intellectuels, juridiques aussi, un équilibre qui doit s’obtenir petit à petit». Et pour les avocats, c’est précisément cette construction que cette affaire est venue perturber, un «acte raciste» commis par des «personnes racistes».
«C’est un geste qui pousse les gens à se replier sur eux-mêmes, un acte qui divise parce que l’intolérance divise, provoque la haine», a plaidé Me Larifou, ajoutant que les auteurs de ces faits «ont fait douter les Mahorais de leur adhésion aux valeurs de la République, et ça n’est pas admissible.»
Un état d’esprit
L’avocat général Le Pannerer a réaffirmé qu’il «n’y a aucune complaisance du parquet envers les gendarmes», justiciables comme les autres. Il est longuement revenu sur la qualification pénale du geste, le principal problème du dossier. Entre «violences» ou «provocation à la haine», il penchait pour le second : «On crée un état d’esprit, c’est insidieux, c’est délétère». Il reprenait les réquisitions faites en première instance, même si le premier jugement est allé au-delà : 6 mois de prison avec sursis pour les 3 prévenus et 3.000 euros d’amende.
Pour sa dernière plaidoirie à Mayotte, Me Chauvin était chargé de défendre les absents, des chaises vides justifiées par des contraintes personnelles mais aussi par des inquiétudes quant à leur sécurité. Malgré les propos d’apaisement, «sur internet, on site leur nom et on leur promet autre chose que de l’apaisement», a-t-il fait valoir.
Une page en passe de se tourner
Il a débuté en regardant les responsables religieux présents dans la salle d’audience pour renouveler les excuses de ses clients, avant de démonter l’argumentation face à lui.
«On a parlé de choc psychologique, mais le seul témoin est passé à côté de la femme qui déposait la tête et il est allé faire sa prière. Ce n’est qu’après la prière qu’on a réagi et qu’on a jeté la tête dans la mangrove.»
Il s’est ensuite attaché à déconstruire la qualification. Provocation ? Mais elle n’aurait d’intérêt que pour les non-musulmans. Emblème ? Mais une tête de cochon n’est pas en elle-même un «emblème» raciste. Un lieu public ? Mais une mosquée n’est pas un lieu public. «On ne peut pas dire qu’ils ont rien fait. C’était une bêtise innommable. Mais la qualification et les jugements me semblent imparfait». Il a demandé la relaxe de ses clients.
Pour Mohamed El Mamouni, le responsable de l’association religieuse, «la première décision a déjà permis de tourner la page. La justice est déjà passée», expliquait-il avant l’audience.
Lors du premier jugement, environ 80 personnes s’étaient rassemblées. Elles n’étaient qu’une poignée ce jeudi matin. La page semble effectivement en passe d’être tournée.
RR
Le Journal de Mayotte
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