Rastami Spelo fait partie des Mahorais qui ont des connaissances suffisantes pour apporter des éléments de réflexion à une Education nationale en mal de résultats à Mayotte. Encore faut-il accepter de jeter là aussi des ponts entre la culture locale et nos méthodes d’enseignement.
A peine énoncé sa date de naissance, le 17 juillet 1969, notre spécialiste de la langue locale est déjà parti chevaucher lettres et étymologies. Il est bien né à Mtzamboro, et non Mtsamboro. Non que l’orthographe de ce village du nord soit sujette à grande rigueur mais ce « z », il y tient. La lettre résume à elle seule la spécificité de l’îlot du coin, les oranges. Et quand elles sont bien sucrées, «ngizi», mais tellement sucrées qu’on enlève le «n», «gizi» alors le «z» donne toute sa saveur à Mtzamboro.
Son papa, Soumaïla Mdallah Mkolo, a été pendant 36 ans le chef du village de Mtzamboro. Il travaillait la terre comme tout le monde en ce temps. Pas un vrai boulot donc, mais suffisant pour l’autonomie familiale.
Une abondance que l’île a perdue selon lui, pour avoir laissé les constructions fleurir sans grande précaution, un contrôle de l’Etat sur l’aménagement qu’il juge déficient.
Sa primaire, Rastami Spelo, 4ème d’une fratrie de 11, la suivra dans son village. Il aime l’école et révèle des facilités en français et un penchant pour les mots, «sûrement parce que mon papa avait la parole et était écouté», glisse-t-il.
Il redouble sa 3ème au collège de Mamoudzou, pas assez bon dans les matières scientifiques. Par peur d’être éloigné du système scolaire, il se «désoriente», comme il aime le souligner, c’est-à-dire qu’il choisit un CAP bijouterie, une filière qui lui permet de rester dans le cursus. Il demande à suivre un cours de classe générale en anglais, ses notes sont excellentes. Encouragé par une professeure de français, il rejoint la filière générale et passe un bac B (économie et social). Il part en fac d’anglais à La Réunion, puis en Ecosse pour son master 1, à Aberdeen University.
Il ne le validera pas car il a déjà commencé à écrire un «learning english» pour Mayotte. Mais, la consultation des ouvrages sur la linguistique lui fait prendre conscience du vide entourant le shimaoré, «j’ai découvert ma langue à partir de l’anglais», dira-t-il.
Le JDM : Donc, le shimaore est aussi l’histoire d’un combat pour vous ?
Rastami Spelo : «Ma première question de retour à Mayotte en 1999, comme chargé de mission à la coopération régionale chargé de la formation et de l’éducation au conseil général, a été de m’interroger sur ce que je pourrai faire pour ma langue.
Ici, on apprend le shimaoré. Or je découvre qu’il n’existe rien en métalinguistique, en code pour comprendre le fonctionnement de cette langue. Il fallait en rédiger une grammaire. Et avoir un cours de shimaoré, comme on a cours de maths ou d’anglais. Les élèves ont déjà les mots de la langue, il ne leur reste plus qu’à en comprendre la logique. Je ne veux pas que le shimaoré soit un palier vers la langue française, mais une matière en tant que telle.
Cela permettra ensuite d’apprendre les autres langues plus facilement. Savez-vous par exemple que nous avons trois formes de présent comme les Anglais ? Si les élèves saisissent cela, l’école leur semblera plus facile. Ils naissent ici avec plusieurs langues et seraient mauvais en anglais ? La façon d’enseigner n’a apparemment pas été à la hauteur.
Il faut aussi que l’on enseigne notre histoire, notre culture, notre musique si riches en instruments. A partir de là, on va voir des enfants se familiariser avec l’école et devenir bon.»
Jusqu’à enseigner en shimaoré ou shibushi dans les petites sections ?
Rastami Spelo : «Plusieurs expérimentations on rencontré un vif succès aux Etats-Unis pour les non-locuteurs en langue locale : les enfants commençaient leur apprentissage dans la langue parlée par la maman. Ça marche partout dans le monde. Ici les expérimentations de 2001 à Acoua et Mtsangamouji, puis de 2006 à 2010 ont été concluantes : le niveau des évaluations en CE1 dépassait celui des autres classes, de très loin. Le principe est de donner les mêmes cours en shimaore et en français, puis de réduire peu à peu la première langue au profit de la seconde avant la grande section de maternelle.
Pourtant, aucun bilan officiel n’a été publié… Et depuis 1841 que nous enseignons en français, le constat d’échec est cuisant.
En plus, le vice-rectorat évoque la possibilité de faire venir de nouveau des scientifiques, alors qu’il y en a tant eu. Et quel scientifique métropolitain a appris le shimaoré ?»
Quel schéma proposez-vous ?
Rastami Spelo : «Il faut former les enseignants mahorais à une connaissance métalinguistique de leur propre langue, qu’ils en comprennent le fonctionnement. Ils deviendront bons pédagogues.
Nous sommes cinq formateurs à être prêts pour cela. Tous membres de l’association Shimé. Elle a été créée en 1998 par des enseignants qui voulaient accéder à la langue. J’en ai ensuite pris la tête. Et, après avoir passé le concours, j’ai moi-même déjà enseigné à l’IFM jusqu’en 2004, où je dispensais des cours de shimaoré aux futurs instituteurs. Mais le vice-rectorat ne nous a jamais donné le feu vert pour former leurs enseignants à la grammaire du shimaoré ou du shibushi.
D’autre part, il y a déjà eu beaucoup de colloques à Mayotte, comme celui sur le Plurilinguisme en 2010 avec d’éminents spécialistes dont Foued Laroussi, directeur du laboratoire Linguistique. Qui a abouti sur de bonnes conclusions, jamais appliquées.
La collaboration avec le vice-rectorat n’est donc pas positive, nous ne sommes pas forcément écoutés et suivis, même si nos noms apparaissent en gros lors des séminaires…»
Proposer un enseignement en deux langues suppose leur bonne maîtrise…
Rastami Spelo : «Si les enseignants ne maîtrisent pas le français, c’est trop tard, il fallait s’en préoccuper avant ! Nous devons travailler avec les jeunes bantous pour qu’ils aient accès à la connaissance des codes de leur langue, et cela ne pourra qu’être bénéfique pour le français.»
Trois petites questions plus personnelles. Avez-vous un mentor, un guide spirituel ?
Rastami Spélo : «Avant tout mon père pour son ouverture d’esprit. Mais aussi le Mahatma Gandhi, pour sa simplicité. Il a toujours demandé aux habitants de l’Inde malgré la présence britannique, de garder leurs valeurs. Car on enrichit le monde entier ensuite.
Enfin, Nelson Mandela, j’avais besoin à l’époque de m’identifier, et ce fut un grand leader noir. Sa grandeur réside dans sa volonté de «faire ensemble». Les grands dirigeants réels de Mayotte, pas les politiques, mais ceux qui détiennent les moyens financiers qu’ils soient Sud-africains, Indiens ou métropolitains, doivent participer à construire cette unité.»
Un livre ?
Rastami Spelo : «Le livre ‘Figthing without weapons’ (Combattre sans armes), et ‘Terre des hommes’ de Saint Exupery.»
Un style ou un morceau de musique ?
Rastami Spelo : « Sans hésiter, le Mgodro. »
Qui s’écrit avec une apostrophe après le « M’ » ?
Rastami Spelo : « Quelle apostrophe ? Toutes celles qui suivent le M en shimaoré ont été placées pour remplacer le « u ». Comme les wazungus (les blancs) ne comprenaient pas par exemple «Mucolo», ils ont transcrit M’Colo !»
N’arrête pas Rastami Spelo qui veut, mais sa voix chantante, qui considère le mot presque comme une confiserie, garde le poids de l’expérience.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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