Mayotte n’est plus uniquement citée comme le territoire aux chiffres de reconduite à la frontière démesurés. On l’évoque comme une possible exception au droit du sol. L’universitaire Patrick Weil s’y oppose en invoquant une naturalisation non automatique. Il s’étonne par ailleurs que ces personnes en situation irrégulière ne soient pas toutes reconduites, « c’est qu’il y a un problème ! », suggérait-il.
L’écrivain Patrick Weil était l’invité du journaliste de la matinale ce mardi matin sur les ondes de France Inter. Ce spécialiste de l’immigration* était sur le plateau pour son dernier opus, « Le sens de la République ». Il apportait un éclairage sur le débat du droit du sol : « même pas changé sous Vichy, il fait partie des principes de la République. »
Une auditrice de Pau faisait le lien avec Mayotte, demandant au chercheur s’il était « normal que Mayotte soit envahie par des femmes qui viennent y accoucher », enjoignant de « bien réfléchir au droit du sol ». Comme un clin d’œil à la remise en cause de ce droit par le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi, qui a rapidement trouvé des échos chez les politiques locaux, qui n’osaient jusqu’à présent pas se prononcer officiellement.
L’universitaire a rappelé que le droit du sol français n’était pas comparable à celui qui était appliqué aux Etats-Unis, en soulignant que les enfants de ces femmes qui viennent accoucher « ne sont pas français. Il faudrait que leurs enfants restent 13 ans en France, que leurs parents restent plus de 13 ans, aient été régularisés et déclarés avec leurs enfants de 13 ans. » Et de rajouter que « si en 13 ans, la police et la gendarmerie françaises ne sont pas arrivées à les faire repartir, c’est évidemment il y a eu un problème ! »
Protection des enfants mineurs
Il y a donc un problème… Le premier d’entre eux, est l’insuffisance d’effectifs maritimes et terrestres. Quand une barque kwassa-kwassa est interpellée, plusieurs autres, dix parfois, sont passées entre les mailles du filet. Ensuite, une fois à terre, les gendarmes ne peuvent heureusement pas entrer dans les cases (cela s’est produit par le passé), pour y voir si s’y cachent des « étrangers » en situation irrégulière.
Le deuxième est que, si le droit du sol n’est pas automatique comme le souligne Patrick Weil, il n’en ménage pas moins des possibilités pour ces populations qui fuient la misère économique et l’absence de soins en Union des Comores. Un enfant né sur le territoire n’est donc pas automatiquement français, mais a l’obligation d’être scolarisé. Ce qu’il fait jusqu’à ses 16 ans. Il n’est évidemment pas expulsable, en tout cas officiellement, sans ses parents pendant ce laps de temps. Mais dès ses 13 bougies soufflées, il a la possibilité de demander la nationalité française, permettant à ses parents d’y accéder à leur tour pour rapprochement familial.
Il y a encore un autre problème : certains jeunes sont arrivés à Mayotte avant l’âge de 13 ans, et ne sont donc pas expulsables. Des « ni-ni », ni régularisables-ni expulsables, « un no man’s land juridique ». Selon les services du Défenseur des droits, 75 % des enfants à Mayotte ne seraient pas affiliés à la Sécurité sociale.
Résultat : s’ils n’accèdent pas à la nationalité françaises, ces habitants ne sont pas tout à fait « étrangers », puisqu’ils ont pour la plupart de la famille sur place, mais assez pour ne pas pouvoir travailler et devoir se loger entre quatre tôles, un habitat précaire qui fait de Mangatélé, quartier du chef lieu Mamoudzou, le plus grand bidonville de France. Même s’il faut se cacher, c’est une survie qu’ils considèrent malgré tout meilleure que ce qu’ils vivraient en restant à Anjouan (Union des Comores)…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Selon Wikipedia : maître de conférences à Sciences Po, puis directeur de recherche au CNRS, au Centre d’histoire sociale du XXème siècle de l’Université de Paris I, il travailledur l’histoire de l’immigration en France. Il a notamment reçu en 1992 le prix de recherche de l’Assemblée nationale pour son ouvrage « La France et les étrangers ».
Comments are closed.