Depuis l’arrivée d’un groupe d’orques aux abords du lagon, de nombreux opérateurs nautiques rattrapent leur début de saison raté pour cause d’absence de baleines. Législation, assurance, charte… Plus rien ne semble compter que les bateaux bondés. Jusqu’à quand?
Bien sûr les images sont spectaculaires et elles permettent de remplir les bateaux des opérateurs nautiques. Un groupe d’une vingtaine d’orques s’est établi depuis plus de 2 semaines aux abords de la passe en S et au large de Petite Terre. L’arrivée est inespérée pour le secteur économique et permet de sauver un début de saison morose, marqué, comme dans toute la région, par le faible nombre de baleines.
Avec les orques, les récits et les images des mises à l’eau affluent sur les réseaux sociaux… On ne parle que de ça et pourtant, ces baignades sont, la plupart du temps, tout à la fois illégales et immorales… Mieux vaut donc ne pas rencontrer le moindre problème.
Car une mise à l’eau, à partir du moment où la personne convoyée sur un bateau n’a plus pied, relève du code du sport. Un article (le 322-7) précise que «toute baignade et piscine d’accès payant doit, pendant les heures d’ouverture au public, être surveillée d’une façon constante par du personnel qualifié titulaire d’un diplôme délivré par l’Etat et défini par voie réglementaire», remarque Messo Environnement sur sa page Facebook.
Assurances hors jeu
Or, sur les bateaux des opérateurs du lagon, très peu peuvent se prévaloir de ces diplômes de surveillance de baignades (brevet d’Etat ou professionnel ou diplôme de maître-nageur sauveteur). Ces brevets nationaux ne sont pas si faciles à obtenir : ils sont accordés à l’issue d’épreuves physiques qui permettent de déterminer qu’une personne est capable d’en sauver une autre.
Problème : si demain un orque, considéré comme le super-prédateur des océans, s’intéresse d’un peu trop près à un baigneur ou si, plus basiquement, un touriste fait un AVC en pleine pratique du PMT, aucune assurance ne viendra couvrir l’incident.
Et les assurances pourraient, dans certains cas, d’autant moins fonctionner, que tous les pilotes ne disposent pas non plus des qualifications requises pour assurer les fonctions de capitaine. Les transports de passagers relèvent en effet de la marine marchande. A Mayotte, la législation locale fixe à 12 la limite du nombre de personnes à bord des embarcations des opérateurs. Et le pilote doit être titulaire du brevet «Capitaine 200» pour des bateaux allant jusqu’à 26 mètres.
Enfin, bien entendu, le capitaine n’a pas le droit de descendre du bateau… et d’accompagner les touristes qui n’ont pas le droit de se baigner.
Charte d’approche bafouée
Ces baignades sont donc souvent hors cadre légal mais également en dehors de toute morale et respect de l’environnement. Les opérateurs sont nombreux à avoir signé la charte d’approche des mammifères marins rédigée par le Parc naturel Marin (PNM). Elle déconseille très fortement les mises à l’eau qui perturbent le mode de vie des animaux sauvages.
Si individuellement, il est impossible de s’en rendre compte, il faut imaginer l’impact de dizaines de bateaux qui circulent autour d’un même groupe d’animaux, tous les jours et toute la journée. Car dans sa charte, le PNM demande aussi de ne plus faire d’observations après 14 heures pour laisser un moment de quiétude aux animaux.
Pas de quiétude pour les animaux
Actuellement, certains opérateurs font jusqu’à 3 rotations du lever jusqu’au coucher du soleil. Les derniers rentrent au port vers 17h30, en dépit de la démarche éthique initiée par le PNM.
Et on ne parle pas des sorties de nuit qui sont interdites. En effet, la législation locale n’autorise pas la navigation professionnelle passée le coucher du soleil : autrement dit, les apéros sur les îlots au crépuscule, vendus à grand renfort de publicités, ne sont tout bonnement pas autorisés. Là encore, que se passe-t-il en cas d’accident ? On se souvient de ce pêcheur renversé par l’embarcation d’un opérateur qui rentrait d’une sortie de nuit. Nous sommes sans nouvelles du pêcheur ni d’éventuelles procédures consécutives à l’accident.
Aucune crainte de la loi
Les affaires maritimes et la DIECCTE ont tenté de faire évoluer les pratiques en demandant l’an dernier aux opérateurs de ne plus proposer de repas à bord, pour des questions de respect de règles d’hygiènes. Cela présentait aussi l’avantage de caler des sorties sur une véritable demi-journée… Mais ces préconisations-là, n’ont pas non plus été respectées.
Finalement, la vague d’hystérie liée à la présence des orques met en lumière les pratiques peu recommandables de très nombreux acteurs du lagon -pas de tous- qui prétendent assurer un service de qualité tout en préservant l’environnement mais qui ne s’embarrassent pas toujours des normes, des règles et des préconisations pour faire tourner leurs entreprises commerciales.
Il semble également évident que ceux qui sont chargés de faire respecter le cadre légal ne sont pas craints. Peut-être serait-il temps qu’ils le soient.
RR
Le Journal de Mayotte
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