Soibahadine Ibrahim Ramadani n’aurait échangé sa place pour aucune autre ce samedi matin : «J’en ai les cheveux qui se dressent sur le tête d’émotion», glissait le président du conseil départemental. Il inaugurait avec le préfet Seymour Morsy, le premier musée de Mayotte. Emotions et rires au rendez-vous…
S’il n’est encore qu’une ébauche de ce que sera le grand bâtiment blanc de la Résidence du gouverneur*, la préfiguration se pose déjà en mémoire de ce que Mayotte offre de visible, et d’invisible, d’immatériel, dans son patrimoine.
Les salles de l’ancienne caserne de Dzaoudzi ont été revisitées par une équipe de maître en la matière, les deux assistants à maîtrise d’ouvrage, Michel Colardelle et Colette Foissey.
La première d’entre elle, sur le thème de la Sagesse, dévoile une urne remplie de petits rouleaux. Préfet et élus ont donc pioché au hasard ce qu’ils découvrent être des proverbes en shimaoré. Soibahadine Ibrahime traduit le sien : « Vous ne pouvez pas tuer une puce avec un seul ongle, il en faut deux’… C’est vrai, il faut être deux, j’ai en effet besoin de monsieur le préfet!» justifiait-il en riant. D’à-propos aussi celui de Seymour Morsy: «Pour comprendre les problèmes qui se passe dans ta maison, il faut l’habiter»… sourires évocateurs du turn over des fonctionnaires sur l’île.
Le douka de papa Kamardine, un espace de rencontre
Pour accéder à la salle dédiée à la danse religieuse et féminine Debaa, il faut passer sous un tshandaruwa, «un tissu brodé qui sépare l’espace public de l’espace privé», commente Ben Saïd Abdoul Karim, attaché territorial du conseil départemental et chargé de projet du futur musée. Il apporte sa connaissance de la société mahoraise pour transcender tous ces thèmes: «A travers le Debaa, on voit que l’islam peut proposer une expression artistique.»
Plus loin, c’est le Douka qui est à l’honneur. Une vraie petite épicerie reconstituée à partir de celle de Papa Kamardine, assis là, sur son banc, comme s’il était dans son village, «un sage, pas seulement là pour vendre, mais pour discuter et rencontrer les habitants.»
C’est ensuite la chaîne de ramassage du sel de Bandrélé qui est exposée: du limon ramassé avec une coque de noix de coco, à l’ensachage.
Enfin, les canons, un peu oubliés à côté de la Légion étrangères, sont mis en valeur. Découverts par John Guthrie, propriétaire de la goélette qui a sombré il y a deux ans devant les Badamiers, ils sont annoncés comme datant du XVIIIème siècle. On les attribue au naufrage dans les eaux mahoraises en 1699 du «Ruby», navire anglais de la compagnie des Indes britanniques. «C’est louche ! L’un est pointé sur ma maison, l’autre sur mon bureau!» ironise Seymour Morsy.
La société moderne doit se soucier de la mémoire
Un patrimoine exposé pas si ancien, puisqu’il sert encore dans les villages. Ce qui colle au thème national de ces Journées, «Le Patrimoine du 21e siècle, une histoire d’avenir». Mais qui permet d’anticiper, comme le souligne Soibahadine Ramadani dans un discours qui aura porté le public: «Naguère naturel, ce patrimoine ne faisait pas l’objet d’attention particulière. Dans la société traditionnelle, sa transmission était collective, notamment par la famille. La société moderne limite cette transmission : la collectivité, responsable de ces changements doit alors agir dans le sens de la diffusion de ce patrimoine commun.»
Comme il le faisait remarquer, Mayotte longtemps restée à l’écart de la mondialisation, risque de perdre la fraternité qui la caractérisait, «le projet de musée prend alors un sens particulier, celui de faire connaître la culture mahoraise.»
Une culture surtout immatérielle, «quinze fois plus présente que ce qui est matériel et qui s’use», complétera Seymour Morsy.
A la tête du département depuis ce début d’année, Soibahadine Ramadani, encore ému, nous informait qu’il avait souhaité dès 1986 la naissance d’un musée, d’archives départementales, d’une bibliothèque de documentation et d’une bibliothèque pédagogique. Il ne manque d’ailleurs pas de projets pendant sa mandature: «une bibliothèque de documentation scientifique et un Salon du livre.»
Les enfants n’ont pas été oublié durant ce week-end de Journées européennes du patrimoine: un atelier va leur permettre de confectionner des jouets avec des feuilles de coco : petites hélices, shivwirivwiri, sifflets ou des boules contenant des billes, lashis.
Un bémol cependant: à moins de faire partie d’un groupe, le visiteur ne pourra bénéficier d’un guide, pourtant indispensable si l’on veut appréhender ce qui fait la spécificité de ce musée, toucher du doigt le caractère unique de la société mahoraise.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Deux architectes du patrimoine Juliette et Matthieu Prévost travaillent à la réalisation du musée dans la Résidence du gouverneur, qui devrait prendre plusieurs années. Ils sont à Mayotte en mission d’urgence, «des bouts de persiennes tombaient», et reviendront avec un inspecteur des monuments historiques.
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