Indivision, occupation illégale, fiscalité de droit commun, insécurité… Tous les problèmes de Mayotte semblent se concentrer sur une parcelle de 5 hectares à Kawéni. Elle est l’objet d’une bataille judiciaire qui promet d’être longue.
La colline est escarpée mais le relief n’a pas arrêté de nombreuses familles en quête de terrain pour y construire des bangas. La parcelle démarre au rond-point El-Farouk (SFR) et remonte la côte Sogea. Sur ces 5 hectares, au fil des années, les cases en tôles se sont multipliées et une route bétonnée a même été réalisée. Problème : aucun des occupants n’est officiellement propriétaire du terrain et aujourd’hui, les véritables propriétaires veulent récupérer leur bien.
Car cette parcelle appartiendrait depuis le 10 janvier 1942 à une famille qui fait valoir un titre de propriété daté de cette époque. Depuis le décès du patriarche de la famille en 2005, l’inextricable question de l’indivision a empêché les neuf héritiers de se soucier du devenir de ce terrain, une question que la fiscalité de droit commun les a poussés à prendre à bras le corps.
«Les héritiers de cette parcelle ont la volonté de faire valoir le droit de jouissance de leur propriété», explique simplement Elhad Chakrina, leur avocat… D’autant que ces neuf héritiers sont bel et bien redevables des taxes foncières qui, sur ces 5 hectares constructibles, atteignent des sommets, plus de 18.000 euros cette année.
Des occupants qui se croyaient chez eux
Ce sont donc 49 familles, soit 60 adultes, qui ont été assignés en justice par les héritiers en vue d’une expulsion. La procédure en référé a été renvoyée ce lundi matin pour être jugée dans un mois et ainsi permettre aux occupants de préparer leur défense. Mais tous les cas individuels ne pourront probablement pas être tranchés dans cette procédure d’urgence, nécessitant, pour certains d’entre eux, une procédure sur le fond qui sera beaucoup plus longue… En effet, parmi ces occupants, quelques-uns se croyaient, de bonne foi, chez eux.
«Certains affirment qu’ils ont acheté le terrain sur lequel ils vivent», indiquent en effet Me Nadjim Ahamada, l’avocat d’une vingtaine d’occupants. Ils auraient acheté des lopins de terre à de faux propriétaires, des individus indélicats qui n’ont pas hésité à abuser de leur confiance pour les escroquer.
Une parcelle à 15 millions
Chaque élément du dossier place cette parcelle au carrefour de tant de problématiques de Mayotte. Ici, en plus de l’occupation illégale et d’une indivision paralysante, se pose la question de la sécurité aussi bien des occupants illégaux que du voisinage. Cette zone sans éclairage et pas toujours facile d’accès est en effet propice à la délinquance. Mais elle fait aussi peser des menaces sur les habitants par les possibles coulées de boues lors des fortes pluies.
La question des propriétaires légaux et des occupants de fait revêt, enfin, un enjeu économique évident : à 300 euros le mètre carré, un montant «raisonnable» compte tenu des tensions sur le marché du foncier, la valeur des 5 ha atteindrait au minimum les 15 millions d’euros.
Quel relogement?
Comme on s’y attendait avec la mise en place des impôts locaux, ce type de procédures est probablement appelé à se multiplier, à la campagne comme dans les zones urbaines. Une mission sénatoriale sera d’ailleurs en visite à Mayotte du 5 au 8 octobre 2015 pour travailler sur la thématique alors qu’ils sont nombreux à Mayotte à réclamer la mise en place d’une institution pour le foncier sur le modèle de la CREC pour l’état civil.
Et comme si les problématiques n’étaient pas assez nombreuses, sur cette parcelle comme ailleurs se posera l’ultime et épineuse question du relogement des personnes en cas d’expulsion. Les regards ne manqueront pas de se tourner vers la municipalité alors que les opérations immobilières et la construction d’un véritable parc de logements sociaux ne pourront suivre le rythme des besoins.
RR
Le Journal de Mayotte
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