La dernière journée des Etats généraux du social aura été marquée par un désistement de dernière minute des cadres du conseil départemental. Tout a été abordé : de l’utilisation des emplois aidés à des fins électoralistes par certaines communes à la déficience de contrôle de l’État. En toile le fond, un énorme déficit en travailleurs sociaux.
Depuis le premier jour, les Etats généraux du social sous la férule de leur organisateur le CNFPT, ont proposé des états des lieux. Celui de vendredi n’était pas unanimement partagé…
Il s’agissait d’une étude menée en décembre 2013 par la Dieccte (Direction du travail et de l’emploi) : il faudrait créer environ 6.000 emplois de travailleurs sociaux d’ici 2018 pour rattraper les standards des autres départements, et assurer la prise en charge de la population en difficulté. Or, 169 seulement ont été créés cette année…
« On fait comment ? Pourquoi n’y a-t-il pas plus de travailleurs sociaux dans le champ de la protection de l’enfance alors que la moitié de la population a moins de 18 ans ?! », interpellait Philippe Duret, qui demandait une actualisation du constat à 2015, « Mayotte est sans doute le territoire où il y a le plus d’études, sans que rien ne soit fait derrière, on refait alors un diagnostic ! », s’emportait celui qui a créé Tama en 2003 avec le sénateur Thani Mohamed Soilihi.
« Le boycotteur des Etats généraux »
Face à cette pénurie de travailleurs sociaux, les collectivités s’organisent différemment. La première d’entre-elles, le conseil départemental, était donc très attendue, notamment sur ses besoins en éducateurs spécialisés. Mais ses cadres en charge des services sociaux, qui devaient co-animer la table ronde, étaient absents, « ils se sont désistés au dernier moment », nous glissait-on alors qu’un intervenant, critiquait le « boycotteur de ces Etats généraux »…
Que des bons élèves en tout cas parmi les communes animatrices de la table ronde. Des témoignages comme celui de Tsingoni, Dzaoudzi ou Pamandzi, on en redemande. Pour la première, c’est Andrafati Combo, DGS, qui énonçait l’équation qu’elle avait à résoudre de 2008 à 2010 : « un déficit sous surveillance par la Chambre régionale des Comptes, qui demandait quand même le recrutement d’un cadre intermédiaire. Tout en rattrapant le niveau du SMIG métropolitain, et en pérennisant 25 contrats aidés… »
Certaines communes bricolent, d’autres trafiquent
La solution est passée par le redéploiement du personnel en interne, et en tentant de maîtriser peu ou prou la masse salariale. Les travailleurs spécialisés ont été formés en utilisant des Emplois avenir, « que nous avons gardés à 90%. Un gros effort financier, mais rentable après 7 ans de formation. »
Situation similaire à Dzaoudzi, rapportée par Mélanie Boulay, la DGS recrutée en janvier 2015 par Saïd Omar Oili : « en redressement, avec un budget bloqué par la Chambre régionale des comptes, nous avons malgré tout créé le Centre communal d’action sociale. Avec des besoins en compétences et une masse salariale conséquente. » La solution passe aussi en Petite Terre par la communauté de communes, « qui prend en charge l’aménagement du territoire. »
Et ça n’est pas mieux à Pamandzi qui a mobilisé en interne, et a utilisé ce qu’Adrien Michaud, DGS de la commune, appelle un bidouillage : « un recrutement de jeunes volontaires de service civique pour assurer les services d’accès aux droits, d’interprétariat, de sorties des écoles, financés en grande partie par l’Etat, qu’on formé en interne pour les basculer vers les emplois d’avenir ensuite, sur 3 ans. »
« Un esprit clientéliste »
Un outil à double tranchant que l’emploi d’avenir, « au lieu de les utiliser sur les durées longues de deux ou trois ans, la plupart des communes les ont signés pour un an dans un esprit clientéliste ! Elles ne devraient pas être prioritaires lors de l’octroi de ces emplois ! », lançait Alain Le Garnec, directeur du CNFPT, et ancien DGS.
C’est la Dieccte qui délivre ces postes. « Il n’y a pas assez de contrôle de l’Etat, on devrait demander le projet réel de la collectivité avant de les octroyer », critiquait un autre intervenant, insistant maladroitement sur le côté « exploitation humaine » de ces mesures, « précarité de l’emploi », rectifiera un DGS. Se pose en effet le problème de l’avenir de ces jeunes lorsque prendra fin le financement de leur contrat par l’Etat.
Si l’Etat est donc appelé à un contrôle plus sérieux, Adrien Michaud relevait la responsabilité professionnelle de chaque commune, et de leurs DGS : « il faut savoir se saisir des dispositifs pour faire aboutir les projets. »
Déficiences de la Mission locale
Des insuffisances aussi à la Mission locale, un autre service public : « avec des retours 10 jours après nos demandes de jeunes ! », déplore une mairie. Une déclaration qui n’étonnera pas la Dieccte, « ils ne sont que deux pour accompagner, et ne peuvent pas suivre plus de 500 jeunes chacun… ».
Enfin dernière des collectivités à s’exprimer, le conseil départemental par la voix de Cristel Touron, directrice de l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance, outil social du conseil départemental, ne dérogeait pas à la règle du manque de moyens : « on m’a refusé la création de 25 postes d’éducateurs spécialisés, la pérennisation de 6 jeunes travailleurs sociaux. »
C’est son DGS, Jean-Pierre Salinière, qui répondait depuis la salle pour confirmer qu’il n’y aura pas de systématisation du renouvellement de ces emplois, « comme l’ont demandé les élus ». Il évoquait les 300 contrats d’avenir en cours, signés pour un an, « il vaut sans doute mieux donner des bases à trois fois trois cents jeunes, qu’en former seulement 300 sur trois ans », indiquait-il en réponse à Alain Le Garnec.
Un sujet chaud, qui contraint néanmoins les communes en difficulté à faire preuve d’imagination pour appliquer leur politique sociale. Reste à espérer que les ressources fiscales leur permettront de prendre en charge ces jeunes une fois les contrats financés par l’Etat seront arrivés à échéance.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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