La médiation va-t-elle désengorger les tribunaux que la judiciarisation facile venue tout droit des Etats-Unis avaient débordés depuis une vingtaine d’années ? En revenant à une résolution de conflit intelligente, en évitant de passer par les salles d’audience, c’est un peu de lien social qui est recréé.
On connaissait l’opposition entre « insécurité » et « sentiment d’insécurité », on va maintenant entendre parler de la différence entre la « justice » et un « sentiment de justice ». Et cette différence, c’est le règlement des conflits par la médiation plutôt que par la voie judiciaire qui l’explique.
La technique de règlement des conflits à l’amiable était exposée vendredi dernier à la Chambre de Commerce et d’Industrie, par Vanessa Rodriguez, Avocat-médiateur au Barreau de Saint-Denis de la Réunion, Associée de la SELARL LAWCEAN cabinet d’avocats Bayonne-Paris et Présidente du Centre de Médiation REMED à La Réunion. Elle était invitée par le Club export qui souhaite créer un Centre de médiation à Mayotte.
Un voisin qui empiète sur le bornage de son propre terrain, des actionnaires qui ne s’entendent plus… c’est le conflit. Pour le régler, plusieurs solutions s’offrent aux parties en présence, explique Vanessa Rodriguez : « la voie judiciaire, l’arbitrage par un juge « plutôt onéreux », la conciliation, la médiation, le droit collaboratif et la procédure participative ou la négociation.
Ce que la victime a besoin d’entendre
La jeune avocate évoque tout haut ce que chacun espère entendre en secret de la bouche du juge lorsque son affaire est jugée : « oui, vous avez raison, vous êtes une victime, l’autre est un moins-que-rien de vous avoir nui ainsi, il n’y a pas meilleur voisin que vous. » Sauf que cela ne se passera jamais comme ça, « et toute la partie émotionnelle, qui n’a aucune valeur juridique est gommée. »
Dans le modèle alternatif proposé par la médiation, les deux acteurs sont au centre des débats, « les avocats ne parlent pas, ils sont là en support ». Un espace de dialogue conditionné à plusieurs points : « d’une part ils doivent en avoir tous les deux la réelle volonté, d’autre part, la décision ne doit pas être contraire à l’ordre public et enfin, le médiateur doit respecter une déontologie, ne pas connaître une des personnes sous peine d’introduire un conflit d’intérêt. »
Exemple à l’appui, Vanessa Rodriguez cite cette affaire judiciaire qui trainait depuis 7 ans, « le juge contraint alors à une médiation, et en 20 heures de travail, une solution a émergé. » Une décision qui devient exécutoire et validée par le juge. Un gain de temps, mais de frais aussi : « lorsque le juge désigne un gagnant et un perdant, ce dernier traine parfois à exécuter la sentence. Une étude européenne de 2011 montre que la médiation par son exécution immédiate des deux parties qui en ont convenu, fait économiser 10.000 euros par dossier. » D’autre part, la médiation ne couterait que 1.000 euros à chaque partie, moins cher que d’aller en justice.
Et le législateur est favorable à cette solution qui soulage les tribunaux, puisque la médiation intègre désormais le Code des procédures civiles : « d’une part, le juge peut la demander si aucune tentative de règlement amiable n’est intervenue, et la loi Macron prévoit des compétences spécifiques pour les médiateurs. »
D’ailleurs, les contrats comportent de plus en plus une clause de médiation, « qui impose le règlement d’un conflit par cette voie avant tout recours au tribunal. »
L’orange de la discorde
Pour illustrer la médiation, la conférencière, devant un petit public, prend l’exemple d’une orange, « que se disputent deux sœurs ». La solution de partager l’orange en deux, ou de n’en donner qu’à un enfant ne lui est pas satisfaisante : « il faut demander aux deux enfants, pourquoi elles souhaitent l’orange. Peut-être que la première en voulait un jus, alors que l’autre demandait la peau pour en faire un gâteau. »
Problème : alors que la présidente du Club Export, Soizic Duret-Motard voit la médiation comme un moyen de régler des conflits qui se développent de plus en plus en transfrontalier, c’est précisément dans ce domaine que la résolution est la plus compliquée, « par la difficulté de trouver un tiers neutre et indépendant, et de décider qui doit se déplacer… »
En résumé, plusieurs facteurs font plutôt pencher pour la médiation : la rapidité de résolution, « trois mois environ, contre des années pour le judiciaire », « l’achat de la paix, puisque la solution juridique ne met pas fin à un conflit, la parie émergée d’un conflit de voisinage est énorme, il perdurera tant que le problème relationnel n’est pas traité sur le fond », la solution trouvée est parfois innovante « permettant même de continuer à travailler ensemble, intéressant sur nos petites îles ! », et elle permet de résoudre des incompréhensions culturelles, « un importateur chinois présent depuis longtemps sur le port de Saint-Denis voulait compter toute la marchandise du container quand le cadre métropolitain entendait utiliser son logiciel. »
Une difficulté cependant : « l’activité de médiateur n’est pas réglementée, or il faut savoir laisser parler les gens pour qu’ils aient le sentiment de s’approprier la solution. Ce qui compte, ça n’est pas la justice, c’est le sentiment de justice ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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