L’affaire de l’amendement d’Ibrahim Aboubacar en a été une illustration la semaine dernière : en demeurant divisés, les élus ne feront jamais avancer notre île.
Tout en déclarant vouloir faire bouger les lignes en matières de finance des collectivités locales, et rouvrir le dossier fiscal des ressources des collectivités, Ibrahim Aboubacar n’allait à l’évidence ne faire que des mécontents avec son amendement, comme nous l’avions craint.
En proposant au gouvernement, qui l’a immédiatement approuvé, de plafonner les recettes fiscales du département issues de la taxe d’octroi de mer à 24 millions d’euros, pour verser le résidu aux communes, il coupait l’herbe sous les pieds du président du département Soibahadine Ibrahim Ramadani, alors en pourparlers avec le ministère des Outre-mer et Bercy pour obtenir une dotation de compensation comme cela se pratique dans les autres DOM. Un amendement qui fait donc faire des économies à l’Etat.
Aucune communication
Ce ne seront pas les premières puisque rappelons que dans le département voisin réunionnais, le gouvernement abonde à hauteur de 60% du budget. On en est très loin à Mayotte.
La plupart des élus du département y voyait alors une collusion entre Ibrahim Aboubacar et Saïd Omar Oili, le président de l’Association des maires. Or, ce dernier était le plus sévère contre cet amendement, puisqu’il estime à raison que les 24 millions et la totalité de l’octroi de mer doivent revenir aux communes, comme c’est le cas dans les autres territoires ultramarins, excepté la Guyane, « mais même eux se rapprochent de la norme », nous précisait-il.
L’ensemble des politiques de l’île est d’ailleurs opposé à cet amendement. Au conseil départemental, nous avons eu toutes les peines du monde à obtenir une réaction au lendemain de l’adoption de l’amendement d’Aboubacar, montrant le peu d’attention des élus porté à un sujet qui touche pourtant directement leurs finances. Seul le DGS Jean-Pierre Salinière nous a dit tout son étonnement de n’avoir pas été averti par le député, du dépôt de ce texte à l’Assemblée.
Des rancœurs sans fin
C’est bien le cœur du problème : un parlementaire qui ne croit pas devoir informer des élus, lesquels élus départementaux et un président de l’association des maires dénoncent un jeu perso d’Ibrahim Aboubacar, vers un poste de ministrable, mais l’intéressé qui accuse à son tour des réactions virulentes sur place, dictées par un positionnement pour les sénatoriales. Lequel candidat aux sénatoriales ne fait pas cause commune avec un des ses pairs de la place, plutôt actif. Et de sensibilité politique proche, de surcroit…
Avec ce jeu de « sultans batailleurs », Mayotte n’est pas défendue. Pour preuve : annoncée par la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, la réforme sur la fiscalité locale devrait être mise en place en 2008.
C’est Toilal Abdourraquib, Directeur de l’Association des maires de Mayotte, qui le rappelle dans une tribune libre FINANCES COMMUNALES et l’octroi de mer_dotations Etat : « Reportée et mise en œuvre en janvier 2014, c’est à dire 7 ans après la date légale, et 13 ans après son annonce, la réforme de la fiscalité locale aurait dû permettre à la DRFIP et aux services de l’Etat concernés par le sujet de mener à bien le vaste chantier de la régularisation foncière, de la création du cadastre, de la constitution des bases de la fiscalité directe locale et la définition des valeurs locatives et de l’identification des contribuables assujettis à l’impôt et l’adressage des rues. »
Or, cette fiscalité de droit commun n’est pas seulement tardive, elle est en échec.
Le département s’enfonce de lui-même
Qui est le plus à blâmer ? L’Etat qui profite des divisions dans un contexte d’austérité budgétaire, ou les élus qui par leurs divisions et leurs rancœurs lui mâchent le travail ?
N’oublions pas, comme l’a rappelé le sénateur Thani Mohamed Soilihi dans une question écrite au secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, la semaine dernière, que la dotation globale de fonctionnement ne représente que 136 euros par habitant pour Mayotte contre 446 euros par habitant pour La Réunion ou 410 euros par habitant pour la Martinique.
« Il apparaît ainsi que Mayotte est sous dotée budgétairement. Par ailleurs, alors que cette collectivité exerce également des compétences régionales, elle ne bénéficie pas pour autant de la DGF perçue par les régions », dénonce le sénateur, en attente de la réponse du secrétaire d’Etat. Une constatation qui irait dans le sens du rapport de la Cour des Comptes sur la départementalisation de Mayotte, à paraître en début d’année prochaine.
Sans travail en commun de nos élus, ce n’est pas leur propre carrière qu’ils flinguent mutuellement, mais Mayotte.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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