Pour comprendre le démantèlement du réseau de « chimique », ce cannabinoïde de synthèse qui fait des ravages chez les adolescents, il faut remonter en juin 2014. Plusieurs personnes sont alors interpellées, dont un agent du conseil général, il s’agit déjà d’un trafic de chimique. Peu de suite ont été données, « liées aux péripéties du changement brutal de juge d’instruction à l’époque. La plupart ont été remis en liberté », confie Joël Garrigue.
Si les têtes ne sont plus les mêmes, les seconds rôles aspirent à tenir la première place, et se lancent sur le marché. Un marché lucratif tel que le décrit le procureur : « Acheté 2.000 à 4.000 euros le kilo, reconditionné par dissolution d’alcool avec du tabac, le produit est revendu 150.000 à 300.000 euros. » A 150 euros le paquet de tabac, de nombreuses cigarettes seront fumées, un produit accessible à beaucoup de bourses.
Un cheptel de zébus
Si l’affaire de 2014 se termine en eau de boudin, les investigations continuent, des écoutes enregistrées, et une protagoniste ressort, désormais à la tête du réseau : « Née en 1968 et d’origine portugaise, elle s’approvisionnait en Europe et en Chine », comme plusieurs autres revendeurs qui avaient décidé de voler de leur propres ailes. Les prévenus de 2014 n’ayant pas encore été jugés, il n’y aura donc pas de récidive, « elle ne s’en tirera pas pour autant à bon compte ! », lance Joël Garrigue.
Des perquisitions il n’en ressortira presque rien, en tout cas pas à la hauteur de ce que révèlent les écoutes et l’investigation, « seuls 250 g ont été saisis », révèle le procureur qui détaille par ailleurs les biens acquis, « des téléviseurs grand écran, et pour l’un d’entre eux, un considérable cheptel de zébus. »
Hier mardi, les protagonistes sont passés devant le juge d’instruction, « 7 sont en détention provisoire, 2 placés sous-contrôle judiciaire », quant aux autres si la détention provisoire est demandée, la réponse viendra du juge des libertés et de la détention dans la soirée. Une autre femme figure parmi les personnes interpellées, les autres sont à la fois mahorais et métropolitains, tous âgés de 23 à 47 ans.
Molécules en cours d’analyses
Malgré les effets dévastateurs du chimique, décrits par le centre d’addictologie de l’hôpital, et rapportés par Joël Garrigue, « délires, tachycardie, comportements violents, et possibles cas de décès dans d’autres pays », le produit n’est pas considéré comme une drogue. La législation sur les stupéfiants ne s’applique donc pas, et les accusés peuvent tomber pour contrebande de marchandises dangereuses pour la santé publique, pour commercialisation de médicaments pharmaceutiques sans autorisation et pour exercice illégal de la pharmacie.
Mais l’analyse des composants du cannabinoïde par l’Institut de recherche criminelle de la police nationale peut aussi déboucher sur sa requalification partielle en stupéfiant, « dans ce cas, les coupables risquent 10 ans d’emprisonnement », annonce le procureur. Les analyses d’autres produits locaux aux effets similaires aux stupéfiants, comme la « mangrove », font apparaître une molécule entrant dans la composition des insecticides « et provoquant la maladie de Parkison. »
Les chiens sur le coup
Le procureur ne cesse de le marteler, le « chimique » est l’accusé principal, « le best seller » des agressions et de leur intensité de violence. Les forces de police et de gendarmerie vont donc concentrer leurs actions sur le démantèlement de ces réseaux, si tant est que leurs effectifs le leur permettent : « Un sous-officier est parti se former en métropole et un nouveau formateur-relai anti-drogue est opérationnel chez nous », indique le colonel de gendarmerie Jean Gouvart.
Les 250 petits grammes saisis sur cette affaire vont avoir au moins un mérite : « Celui de former les chiens sur ces produits encore importés par voie postale ou parmi les effets personnels dans des valises. »
Si ce produit était encore inconnu en France, un démantèlement a eu lieu récemment dans la région savoyarde, « il est également en circulation en Belgique et en Amérique du nord. » Si le procureur est satisfait de cette opération, il ne se fait pas trop d’illusions : « quand un réseau est démantelé, quelqu’un est toujours prêt à reprendre le flambeau. »
Là, ce sont les enquêteurs qui ont le flambeau, et d’autres têtes pourraient tomber.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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