La religion, qu’elle soit perçue comme un chemin vers le bonheur par les croyants, ou comme un outil de l’asservissement de l’homme par ses détracteurs, laisse rarement indifférente. Au lendemain des attentats qui ont frappé la France au nom de la religion, la laïcité est mise en avant sans que l’on sache vraiment quelles en sont les limites.
Alors qu’autrefois la religion rythmait la vie publique des villageois, le 18ème siècle apporte « la liberté de conscience, chacun croit à ce qu’il veut dans la sphère personnelle. La religion est écartée de la sphère publique », retrace le conférencier. La loi de 1905 entérine cette évolution et consacre la séparation de l’église et de l’Etat.
Ce qui va mettre en avant la notion de laïcité, c’est la nécessité de statuer en 2010 sur la dissimulation du visage sous des voiles dans les espaces publics. Mais certains vont aller plus loin en avançant la notion de laïcité comme l’absence de religion dans la sphère publique « ce qui est triplement injuste », assène Julien Couard.
La laïcité généralisée, une menace à « liberté-égalité-fraternité »
La première erreur selon lui serait d’envisager l’Etat comme athée, « simplement parce qu’il ne se positionne pas ». La deuxième, de considérer qu’il a le monopole de la sphère publique, « à moins que l’on soit dans un contexte totalitariste, la sphère étatique n’est qu’une composante de la sphère publique, où l’on retrouve la liberté de rassemblement sans avoir besoin d’en référer à l’Etat. »
Dernière injustice, mais non des moindre, le risque de commettre une entorse à notre devise nationale. La liberté religieuse pour commencer « pratiquée dans des lieux de culte publics, comme les mosquées ou les églises. « Mais aussi d’égalité, car ce serait injuste que seul celui qui ne croit pas puisse s’exprimer. » Tout cela peut provoquer une rupture de fraternité, « une opposition entre ceux qui veulent s’exprimer et les autres. »
Même mieux, la laïcité qui est vue comme restrictive, permettrait au contraire d’autoriser la liberté religieuse. Exemple à l’appui : Une assistante sociale a vu son contrat non renouvelé parce qu’elle portait le voile. Le directeur de sa structure lui a proposé de porter un bandana qu’elle refuse. Il est suivi par la justice à laquelle elle a eu recours. La Cour européenne des droits de l’homme ne dit pas autre chose, « au nom précisément de la liberté religieuse des usagers avec lesquelles elle était en contact en tant qu’agent public. La laïcité a donc protégé la liberté religieuse des autres. »
Une conception immatérielle de l’ordre public
Donc, seul l’espace étatique est neutre religieusement, « on peut s’exprimer dans les autres espaces publics, ou privés, sous réserve du respect de l’ordre public. » Mais peu souvent menacé à l’entendre.
Lorsqu’il est matériel, l’ordre public peut se résumer à la sécurité publique, « que pourrait représenter les processions dans la rue, mais non interdites », à la tranquillité publique « que n’ébranle pas le son des cloches des églises selon le conseil d’Etat », ou à la salubrité publique, « prétexter que la consommation d’herbes hallucinogènes est bon pour la santé par exemple. »
Pour trancher sur le port du voile, la France s’est également tournée vers le conseil d’Etat qui a érigé un ordre public immatériel : « Sa seule décision concernait une jeune femme radicalisée, parlant mal le français, qui ne sortait qu’entièrement voilée. Le Conseil d’Etat lui a refusé la nationalité française jugeant qu’elle ne manifestait aucun désir de vivre en France selon nos coutumes. » Cette notion d’ordre immatériel regroupe ainsi le socle minimal des garanties essentielles à la vie en société.
Une sphère privée à laïcité variable
Se pose une question : quid de l’entreprise ? « C’est une sphère privée, donc la liberté religieuse s’applique. » Avec un bémol toutefois, celui qu’a révélé l’affaire de la garderie Baby Loup et qui a valu la caricature du petit chaperon rouge. C’est encore une femme qui porte le voile, une employée de crèche qui refuse toute alternative, avec un conseil des prud’hommes qui avalise le licenciement. La cour de cassation rend un jugement plus ambigu, « elle commence par casser le jugement indiquant aux tribunaux qu’ils auraient du prouver en quoi le voile était nuisible », pour donner raison ensuite au directeur, « mais davantage sur la position d’insubordination que le port du voile l’avait incité à adopter. »
Dans les écoles, tout a été clarifié selon Julien Couard, « car c’était un lieu d’opposition frontale entre laïcité et religion. On y observe une stricte laïcité, avec l’autorisation d’y implanter des aumôneries. » Elèves comme enseignants ne doivent pas y afficher de signes ostentatoires, « le conseil d’Etat a systématiquement justifié les exclusions d’élèves voilées ». Ceci vaut pour le primaire et le secondaire.
A l’université, où se déroule la conférence ce vendredi et où les filles portent toutes le kishali (châle posé sur la tête), rien n’a été tranché en France : « la liberté est laissée à chacun. Il faut dire qu’il n’y a jamais eu de trouble à l’ordre public ! » L’aboutissement intelligent de toute vie en société en somme…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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