«Accueillez-nous ! Voici 300 ans que nous attendons». Ainsi parlait le député réunionnais Raymond Vergès, le 12 mars 1946 dans l’hémicycle de l’Assemblée. Il faisait entendre la voix de son île, petit bout d’empire, comme Aimé Césaire et Gaston Monnerville allaient faire raisonner celles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Le destin des «quatre vieilles colonies», comme on les appelle alors, va se jouer et sceller leur appartenance à la France.
Dans cette métropole qui se relève de la guerre, l’Assemblée a pour mission d’écrire rien moins qu’une constitution. Quel défi de rendre audible ces confettis de la République! Ils le seront pourtant, et comment! Après des débats qui s’étalent sur deux jours, les 12 et 14 mars 1946, la loi de départementalisation est votée à l’unanimité. On en retiendra la date de sa promulgation, le 19 mars, comme le début d’une incontestable nouvelle ère politique.
L’urgence sociale et économique
Durant ces débats, c’est une irrépressible urgence qui est exprimée par les deux députés réunionnais (Raymond Vergès et Léon de Lepervanche), leurs collèges martiniquais (Aimé Césaire, rapporteur du projet de loi, et Léopold Bissol) et guyanais (Gaston Monnerville). Une urgence sociale et économique adossée à un désir profond d’être enfin considérés comme des égaux de la République, le statut colonial étant vécu comme une humiliation.
Tout au long des prises de paroles, les orateurs font vibrer la corde patriotique, rappelant les sacrifices de leurs concitoyens à chaque fois que la France a été en danger. Et en soulignant les inégalités inacceptables entre dominants et dominés ainsi que les retards immenses en matière de santé, d’éducation, d’alimentation, de logement…
Ils trouvent pourtant sur leur route un autre député des «quatre vieilles», le SFIO Paul Valentino qui, tout en votant la loi, plaide pour davantage de pouvoirs locaux et une certaine autonomie de décision. Mais aussi le ministre de la France d’outre-mer, Marius Moutet qui émet des doutes sur la transcription immédiate des lois françaises pour ces territoires éloignés car «le ministre n’est pas un sorcier». Il faut dire que le gouvernement est effrayé par le coût financier de cette départementalisation.
“Belle fille en haillons”
Car ces colonies historiques sont en effet très différentes de ce que l’on connaît aujourd’hui. A La Réunion, en 1946, les 225.000 habitants ont à faire avec un taux de mortalité infantile insoutenable (145 pour 1.000), une espérance de vie qui dépasse à peine 40 ans pour les hommes et 50 pour les femmes dans une île minée par le paludisme… Une «Belle fille en haillons» selon l’expression de l’envoyé spécial du journal Le Monde en 1949.
C’est aussi, comme le clame Lepervanche à l’Assemblée, une terre dominée et dirigée par les «barons de la terre, du sucre et du rhum», des «seigneurs réunionnais». Ce sont d’ailleurs les principaux opposants à ce projet de départementalisation dont il est question avec insistance depuis les années 1930. Justement parce que l’une des conséquences immédiates serait l’instauration de la fiscalité directe. Ils craignent donc de payer des impôts !
L’enthousiasme éphémère
Devant l’Assemblée, ils sont à l’aise, Vergès, Lepervanche et les autres, ce 12 mars 1946. Ils ont rejoint le groupe du Parti communiste Français, le plus fort de l’hémicycle, où la gauche est largement majoritaire. Et leur volonté de sortir de la colonie en prônant l’intégration et l’assimilation dans la France est en prise directe avec l’idéologie du PCF de l’époque, à savoir la grandeur et l’unité de la France d’abord.
L’enthousiasme qui suit l’adoption de cette départementalisation n’est pas sans rappeler celle qui prévaudra, 65 ans plus tard, à Mayotte. Car là-bas aussi, les rêves d’égalité définitive «d’ici la fin de l’année», disait-on alors, étaient la règle. Mais La Réunion s’est vite rendue à l’évidence: la départementalisation tardait à faire sentir ses bienfaits…
Ce mois de mars 1946 a donc tout changé dans la politique ultramarine. Sans pour autant aboutir à la réalisation des espoirs de cette époque sur lesquels on a mis un nom aujourd’hui : l’égalité réelle.
RR, le JDM
Avec le JIR.
Comments are closed.