Tout d’abord félicitation à Denis Balthazar, artiste plasticien, et à Fatima Ousseni, cette 5ème édition a franchi un palier. Bien sûr parce qu’aux côtés de la pratique artistique aboutie, les jeunes scolaires amateurs ont sont plus nombreux : « Ils sont douze établissements scolaires à avoir participé cette année, contre cinq l’année dernière. »
C’est Ankiffoudine Sandani, 3ème au collège de Dembéni, qui remporte le Prix collège pour « Faux semblant », une vidéo mettant en scène un jeune homme habillé en bweni (femme), qui danse, enlève son salouva pour le poser sur la tête. « C’est la meilleure œuvre notamment en raison du parti pris du cadrage, et pace qu’il joue sur la méprise, c’est un homme de couleur qui aurait pu être une femme de couleur », nous explique Géraldine Barthe, présidente du jury et enseignante au collège de Tsingoni.
Il faut dire que le fil conducteur d’”Arts contemporains Mayotte » reste « La connaissance de soi. » Chez les lycéens, c’est Samianti Saïd qui l’emporte, du lycée de Sada. « Ces jeunes sont plus structurés que les autres, car ils travaillent sur leur histoire, sur leur identité, c’est ce qui manque aux jeunes de l’île qui ne savent plus à quoi se raccrocher », juge Fatima Ousseni.
Balladur en vitrail
Mais cette évolution d’ « Arts contemporains Mayotte 2016 » tient aussi à la diversité des supports utilisés par les 18 artistes qui exposent : davantage plastique que pictural cette année, les œuvres aident l’exposition à prendre du volume dans le grand hall du collège de Dembéni, appuyées par des vidéos et des diaporamas.
Des femmes de couleur en noir et blanc, des portraits à la Andy Warhol, et toujours le thème des naufrages de kwassas que l’on retrouve logiquement chaque année, les artistes se faisant l’expression de la douleur. C’est l’œuvre imposante de Denis Balthazar qui attire d’abord le visiteur : un simili vitrail met en scène un saint qui veille sur les eaux dans lesquelles sont engloutis des naufragés, un saint qui a les traits d’Edouard Balladur.
Mais « keski se passe » dans la tête des artistes ? Comment d’un thème nait une œuvre ? C’est ce que nous expliquent justement Géraldine Barthe et Zoé Benoit. La première est partie du regard, l’autre de l’ouïe.
Des œuvres de regards et d’écoutes
« Depuis 5 ans que je suis à Mayotte, j’observe, mais je suis observée aussi. Depuis l’intérieur sombre des bangas, je sens les regards, une fente qui m’intrigue. On ne sait plus qui regarde qui d’ailleurs. Ce regard, c’est aussi moi », traduit Géraldine Barthe. Elle voulait travailler le bois, mais a préféré le pinceau, « ça m’a permis d’y apposer un peu du masque des femmes. »
Zoé Benoit nous tend un casque : « J’ai interviewé de nombreuses femmes, mahoraises, malgaches, espagnoles, comoriennes, qui viennent travailler à Mayotte, heureuses ou pas d’y être, pour qu’elles se racontent. Puis je m’oriente vers le visuel de leur quotidien. » Ce sera les rideaux en résélé, ajourés et brodés, pour les malgaches par exemple, et de prés, ces femmes sont à livres ouverts puisque leurs prénoms et des bribes de leur histoire y sont brodés.
Première collection locale d’arts contemporains
Sa deuxième collection met en scène des chombos, « réalisés avec les forgerons de Bouyouni. Les lames sont des cartographies des Comores, de Mayotte, de Madagascar et de La Réunion. Le côté tranchant de l’œuvre met en évidence les côtes inhospitalières lorsque les migrants arrivent à Mayotte. » De loin, on a l’impression d’être dans un musée de la Préhistoire qui aurait choisi de basculer vers l’art.
Un peu plus loin, Jean-Marc Lacaze expose des « Gilets première classe », parce qu’ils viennent d’un avion, un duo coloré de tissus locaux, mis en valeur par une vidéo où l’artiste se met en scène, il flotte sur l’eau, en costume, « un naufragé du monde occidental qui aurait choisi de s’échouer ailleurs », nous traduit Zoé Benoit.
Fatima Ousseni, elle, poursuit sa collection : « J’ai décidé d’acheter chaque année certaines œuvres pour qu’elles restent sur le territoire, j’en ferai don au futur musée d’arts contemporains. » Qui n’est pas encore à l’ordre du jour.
L’exposition est ouverte tous les week-end jusqu’au 1er mai.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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