L’affiche s’est glissée dans les rendez-vous culturels d’un de nos confrères, comme s’il s’agissait d’un banal événement festif «suivi de Grand Voulé». Et pourtant, il est question de bien autre chose. Sous la mention «Mayotte asphyxié», un «collectif des citoyens de la commune de Bouéni» appelle à «une manifestation et actions d’expulsions pacifiques contre l’immigration clandestine (Quitter nos maisons et nos terres)».
Il s’agit donc d’appeler à la mobilisation pour lancer une nouvelle opération pour bannir des personnes d’un village en raison de leur nationalité et/ou de leur situation administrative. «Les phénomènes ne sont pas nouveaux. Ce qui change, c’est le côté totalement assumé, revendiqué et même annoncé. Maintenant, on prévient les autorités que l’on va commettre un acte illégal… Et il ne se passe rien», constate un membre de la Cimade Mayotte.
A chaque fois, le processus est le même. Ces collectifs envoient un courrier aux personnes qui hébergent des personnes étrangères ainsi qu’aux dépositaires de l’autorité publique que ce soient les maires des communes concernées ou les services de gendarmerie, pour annoncer la date des «interventions villageoises». Puis les opérations sont effectivement menées contre les étrangers qui ne seraient pas encore partis suite aux menaces avec une destruction de leur habitation.
Le silence des pouvoirs publics
Après Tsimkoura (10, 17 janvier et 21 février), Poroani (20, 27 mars et 6 avril), Mbouini (24 avril) et Mtsangamboua (27 avril), c’est donc désormais des affiches, bien facilement relayées, qui annoncent la prochaine opération dans le village de Bouéni.
Cette fois encore des associations réagissent, mais elles pourraient être plus nombreuses que lors des opérations précédentes. Elles préparent en effet un courrier inter-associatif dont l’objectif est de faire réagir la préfecture. On ne connaît pas encore le nombre d’associations signataires, mais la lettre devrait être adressée à Seymour Morsy dans le courant de la semaine. «Il y a une volonté de faire quelque chose de collectif pour faire sortir de leur silence insupportable les pouvoirs publics», explique-t-on à la Cimade.
Car à Bouéni, il semblerait que les citoyens n’agissent pas seuls de leur côté. En effet, la mairie ne peut pas ignorer la préparation des «expulsions» à venir annoncées sur les murs de la ville, d’autant que les réunions du «collectif» qui prépare cette journée se font dans ses locaux.
Des questions pourtant légitimes
Les questions posées par ces collectifs sont légitimes. Il est naturel de débattre des ressorts de l’insécurité ou de la crise que traversent les services publics de l’éducation et de la santé. Il faut également regarder frontalement les questions liées à l’immigration, légale ou clandestine. Mais ces opérations ne participent pas au débat. Elles imposent ce qu’elles présentent comme des solutions.
«Il faut m’expliquer comment on lutte contre l’immigration clandestine en déplaçant les gens d’un village à l’autre», dénonce ce membre de la Cimade. L’opération qui se prépare à Bouéni va, en effet, consister à chasser des personnes du village… Vont-elles aller à Tsimkoura où des «expulsions» ont déjà eu lieu?
Une chose est sûre, une fois ces opérations menées, si les personnes bannies de la commune sont toujours présentes sur le sol mahorais, elles se retrouvent dans une précarité extrême sans logements, et avec, la plupart du temps, des enfants déscolarisés, qu’ils soient nés ou non sur le territoire national.
Cautionner ou s’opposer
Les associations qui préparent leur courrier veulent donc rappeler à l’Etat français, que s’il est garant de l’intégrité physique des habitants, il doit aussi se préoccuper des atteintes aux biens, de la démolition de domiciles en dehors de tout cadre légal ou encore des obstacles faits à la scolarisation d’enfants.
Et au-delà de ce courrier, c’est sur le site national de la Cimade que le message est le plus clair. Alors que Mayotte est au sommet de la page d’accueil au même titre que Calais, l’association y affirme que «l’État ne peut pas se contenter d’être un simple observateur de ces violences. Par son silence, il cautionne ces actes délictueux et xénophobes.»
Car ce sont finalement les discours qui sont pointés du doigt, ces mots qui justifient et banalisent les comportements. Mais face à des expressions comme «guerre civile» ou «guerre de libération» de plus en plus souvent employées, les associations ont, elles aussi, du mal à trouver leurs propres mots, ceux qui vont porter dans l’opinion. Parvenir à s’opposer à une telle radicalisation d’une partie de la société, c’est manifestement «une guerre» des consciences qu’il va falloir entamer.
RR
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