Un bloc composé du député Aboubacar, du président du département Soibahadine Ibrahim, du président de l’Association des maires Saïd Omar Oili, du député Boinali Saïd Toumbou, et du sénateur Abdourahamane Soilihi, a écrit à la ministre des Outre-mer, comme l’ont révélé nos confrères des Nouvelles de Mayotte, pour contrer la proposition de loi du sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi.
Autant de cartouches pour tirer sur une proposition de loi qui défend le statut de Mayotte, voilà qui peut paraître étonnant. Elle porte sur la modification du mode de scrutin et le nombre de conseillers départementaux.
Une demande formulée par le précédent exécutif du département, mené par Daniel Zaïdani, qui avait fait voter une motion à l’unanimité des conseillers généraux de l’époque, demandant aux quatre parlementaires suscités, de porter la parole dans leurs assemblées respectives.
L’appui de trente sénateurs
C’est pour garantir une stabilité et une sérénité en période électorale que l’ancien président avait souhaité basculer vers un scrutin proportionnel de listes à deux tours, évitant des transferts de personnes d’un bloc à l’autre à la veille des élections… D’autre part, le statut de Mayotte étant à la fois départemental et régional, il fallait se doter de conseillers en nombre supplémentaires pour en assumer les fonctions, soit 39 au total.
Depuis 2014, Thani Mohamed Soilihi s’est attelé à la tâche, et, comme nous l’évoquions en mars dernier, c’est appuyé par une trentaine de ses pairs sénateurs qu’il a déposé au Sénat une proposition de loi comprenant ces deux points en un seul article. C’est dire l’énergie qu’il aura réussi à fédérer.
Trouver la niche
Difficile néanmoins de trouver un créneau à entendre notre sénateur, « il faut ce que l’on appelle une niche, c’est à dire un temps de parole pour défendre son texte. Tout cela se négocie de longue haleine. S’il n’est pas présenté ce 30 juin, ce sera à la rentrée parlementaire de septembre », nous explique-t-il, un peu sous le choc d’avoir ainsi été trahi.
La proposition de loi a été examinée hier en Commission des Lois, alors qu’arrivait sur le bureau de la ministre des Outre-mer le courrier venant d’élus mahorais et demandant l’ajournement de la proposition, qu’ils appellent par erreur « projet de loi. »
Leur principal argument porte sur une demande de redéfinition du statut de Mayotte, « comme collectivité territoriale », au lieu de « Département de Mayotte ». L’enjeu étant de reconnaître officiellement le cumul région-département.
« Pourquoi ne m’ont-il pas contacté ? »
Un élément que le sénateur Thani Mohamed intègre, mais il s’interroge sur la manière de conduire cette action : « Pourquoi ne m’ont-il pas contacté ? Je n’ai même pas été destinataire de leur courrier. Ils savent que je travaille depuis deux ans sur ce sujet, les médias s’en sont fait l’écho. Lorsque le 30 mars dernier, j’ai envoyé un mail aux élus pour les tenir informés de l’évolution, seuls 3 ont accusé réception. » Et pour faire valoir leur argument, des recours leur étaient possible : « Ils auraient pu déposer un amendement pour améliorer le texte avec leurs arguments, voire même prendre un amendement suppression. »
D’autre part, l’ordre du jour du Sénat est complet et peu de fenêtres restent disponibles avant les présidentielles, pour faire adopter un autre texte, sur lequel personne n’aurait encore commencé à travailler.
“Pas une préoccupation du moment”
Saïd Omar Oili, l’un des signataires, qui avait pourtant voté pour la motion de révision du mode de scrutin, nous avoue avoir pêché par naïveté, un trait de caractère peu habituel chez lui : « J’ai effectivement vu arriver un parapheur du conseil départemental, et je n’ai rien trouvé de choquant en lisant le courrier. J’imaginais qu’Ibrahim Aboubacar ayant repris le sujet du cadre institutionnel dans ‘Mayotte 2025’, il s’était accordé avec Thani pour reprendre la main. Mais il n’en était rien, je me suis fait avoir. »
Nous avons fini par joindre Ibrahim Aboubacar, qui indique que sa position depuis 2010 a toujours été d’ouvrir le débat statutaire en faveur d’une collectivité unique, département et région, dans un toilettage global à l’image de la Guadeloupe et la Guyane. Sur la question de savoir pourquoi ce courrier est envoyé au ministère des Outre-mer la veille de la discussion, le député répond “ce n’est pas une préoccupation du moment du territoire, qui est plutôt la délinquance, l’immigration clandestine ou la fiscalité, mais s’il faut ouvrir le débat statutaire, il faut l’ouvrir dans sa globalité.”
Une méthode qui fait en tout cas davantage penser à la défense d’intérêts particuliers à l’Africaine qu’au combat pour l’intérêt général. Parler d’une même voix rajouterait à la légitimité.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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