Ils y croyaient à peine, Laurent Chassot, directeur du Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte, et Aurélien Siri, Responsable du département Droit-Economie-Gestion, lorsqu’ils ont proposé à la Conférence des Doyens de se tenir à Mayotte. « Elle se tient trois fois par an et nous nous sommes bien sûr interrogés sur la pertinence de faire venir ces personnalités, en terme de coût. Mais notre CUFR, même petit, a un rôle majeur en terme de rayonnement de la culture française dans la région », introduisait Laurent Chassot.
Ce sont donc 30 professeurs qui avaient investi l’amphithéâtre du CUFR, pour un colloque sur « Quelles réponses juridiques aux nouveaux phénomènes migratoires ? »-Les enjeux pour l’Europe, la France métropolitaine et les départements d’outre-mer.
« Un thème courageux », lancera une conférencière, rappelant qu’au moment où avait été lancé l’idée, la crise des « décasés » n’avait pas encore commencé à Mayotte. On pourrait plutôt dire, que le thème est approprié. Une conjoncture qui aura incité le préfet à décliner au dernier moment l’invitation, si l’on en croit Laurent Chassot, « nos experts théoriciens étant sans doute susceptibles de lui poser des questions délicates. » Idem, l’absence du président du tribunal administratif, qui devait entre autre statuer sur un référé liberté sur la situation des occupants de la place de la République.
Libre de partir
Un décor approprié donc, serait-on tenté de dire, pour débattre du sujet. Avec une première affirmation : le droit international protège les déplacement des populations. « Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’ONU, précise que toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, et peut y revenir », rapporte Philippe Lagrange, professeur de droit public à l’université de Poitiers. C’est ce même Pacte qui, dans son article 1, précise que « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes », qui défend la position de Mayotte française.
Une convention des Nations Unies protège même tous les migrants économique, y compris en situation irrégulière, « venus exercer dans une autre pays une activité rémunérée », en leur donnant la même égalité de traitement que les nationaux, « mais n’a été ratifiée que par 48 Etats membres, uniquement des « pays d’origine », aucun pays accueillant comme d’occident.
Certains pays d’Afrique de l’Ouest ont fait du migrant clandestin un criminel, « avec une peine de 5 à 10 ans de prison s’il franchit les frontière de son pays au Sénégal. Alors qu’au plan du droit international, ce n’est pas un crime. »
« Barbelés ou radars ne suppriment pas l’immigration »
Quant à l’immigration contrainte, par un conflit ou une catastrophe naturelle, elle permet la reconnaissance de réfugié, après avoir posé une demande d’asile, et cela au titre du principe de « non-refoulement » par l’Etat d’accueil. Ce droit d’asile vient d’être violé par le Conseil européen, rappelle le conférencier, par l’instauration du mécanisme dit du « un pour un » visant à réinstaller un Syrien de la Turquie pour chaque Syrien arrivé irrégulièrement dans les îles grecques depuis la Turquie et réadmis par cette dernière. »
On constate donc un grand écart entre le droit international, « qui fait finalement peu pour protéger les migrants, mais parce que les Etats cherchent à dégager leurs responsabilités. » Surtout dans les cas d’afflux massif de migrants, que l’on peut comparer avec la situation à Mayotte où plus 40% de la population serait étrangère dont la plupart en situation irrégulière.
Mais pour Philippe Lagrange, rien ne sert de vouloir se protéger, « barbelés ou radars de suppriment pas l’immigration mais rendent les conditions de déplacement de plus en plus dangereuses. De plus, elle engendre la suspicion de l’étranger. Or, que ce soit les syriens, ou ceux du canal du Mozambique, ils ne viennent pas prendre, mais demander une aide que le droit international impose aux Etats de donner. »
« On peut aller très loin pour enrayer l’immigration »
Fabienne Jault, Professeur à l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelins, va pousser le bouchon jusqu’au bout : « Jusqu’où peut-on aller pour enrayer l’immigration indésirable ? Très loin ! » Pour pointer le durcissement générales des législations, « y compris de pays traditionnellement accueillants comme la Suède ou l’Allemagne. C’est une course vers le bas. » En prenant l’exemple du Danemark qui publie des encarts dans les médias Libanais pour décourager de toute immigration.
C’est la dérision qu’utilisait l’universitaire pour traiter du sujet au moyen de trois questions : « Comment s’y prendre pour ne pas laisser entrer les étrangers ? Comment ne pas les choyer ? Et comment les traquer ? » Sur la deuxième interrogation, on n’a pu s’empêcher d’avoir une petite pensée pour nos « décasés » .On a donc parlé quotta, mur, ou procédure d’expulsion accélérée contre l’immigration illégale. « Au Danemark toujours, la ‘loi des bijoux ‘ permet de confisquer les biens du moment qu’ils dépassent la valeur de 10.000 couronnes, soit 1.300 euros ».
Une immigration qui a un coût en Europe, 10 milliards de dollars, soulignait Xavier Latour, professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis.
On en revient toujours à la destinée, que ce soit celle de la chanson « Etre né quelque part », de Le Forestier, ou du migrant d’ »Ulysse from Bagdad », de Eric-Emmanuel Schmidt. Sommes-nous tous des migrants potentiels ?
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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