«Voilà comment je vois les choses: Les Mahorais sont devenus les anges de la mort, le comité du tourisme c’est le jugement dernier, l’Etat français c’est Dieu qui juge… Et ils nous ont envoyé en enfer». L’homme sait qu’il va faire mouche avec une formule qui résume sa vision des derniers mois durant lesquels toute sa vie a été emportée.
Comme 164 autres personnes (selon un recensement mené par les relogés eux-mêmes ce weekend), ce Grand-Comorien est logé au gîte Bengali depuis un mois. Et comme nous l’annoncions mercredi dernier, les choses ne se passent pas bien. Manque d’eau, repas peu équilibrés, conditions d’hébergement contestables, accès aux toilettes difficiles… la vie est loin d’y être simple, d’autant que ces personnes n’ont pas choisi de vivre là-bas.
«Le 22 juin, nous avons été surpris. Sans aucune alerte, on nous a amené dans un gîte. Enfin, ils appellent ça un gîte, nous on dit que c’est une prison. On ne peut pas y vivre la vie digne que nous espérons», poursuit l’homme.
Des décasages brutaux
Lui a été «expulsé» du sud de Mayotte où il vivait depuis plus de 2 ans. «Ils ont fait 3 réunions différentes pour dire qu’ils allaient expulser les clandestins. Je n’y suis pas allé, j’ai un titre de séjour, je ne suis pas clandestin. Et puis je payais un loyer. Mais j’ai quand même préféré partir quand j’ai compris qu’ils allaient chasser tous les Comoriens».
Il s’installe alors chez sa sœur, mais pas pour longtemps. Deux jours après, l’expulsion est «brutale» et «violente». Le propriétaire, qui encaisse depuis des années des loyers non déclarés, demande à la foule d’enlever les portes de tous les logements. «On nous a dit: ‘On vous laisse jusqu’à 3 heures. Vous quittez les lieux ou on va tout casser».
Selon lui, les gendarmes sont venus le voir pour lui dire de partir, lui expliquant qu’ils n’avez pas les moyens de le protéger. «On est partis pour la place de la République.»
La même histoire pour chacun
Cette histoire, ils l’ont tous vécu. Comme cette jeune maman qui vivait dans le nord de Grande Terre depuis toute petite… qui a vu ses voisines la désigner à la foule et lui demander de quitter les lieux. Elle a pris ses 4 enfants avant de monter dans un taxi. «Quand je suis revenue, quelques jours après, ils avaient pris tous mes biens. Mes draps, mes affaires, ils avaient tout mis dehors…»
Ou cet homme, désigné à la vindicte de quelques jeunes puis d’une foule qui avançait de village en village sur la petite presqu’île de Bouéni, chassant tous les étrangers qui se trouvaient sur sa route. «Six hommes et deux femmes entrent chez moi, avec un morceau de fer et des bâtons. Ils me disent, ‘tu pars’. Je leur explique que c’est chez moi, que je loue et je paie pour être ici.» Là encore, il affirme que les gendarmes lui ont demandé de partir, faute de pouvoir garantir sa sécurité.
Cet homme, avec des papiers en règle, habite pourtant à Mayotte depuis 20 ans. «J’ai connu le Mayotte d’hier et je connais le Mayotte d’aujourd’hui… J’en est marre. Je ne croyais pas que ça deviendrait comme ça.»
Le mal-être dans le gîte
Tous sont donc confrontés au quotidien du bengali, un lieu d’accueil bien compliqué dans lequel ils vivent tous difficilement les conditions matérielles précaires mais aussi, ce qu’ils présentent comme des privations de liberté où toute parole publique, particulièrement aux journalistes, semble strictement contrôlée voire «interdite».
Ces entretiens se sont donc réalisés dans la plus grande discrétion. «Il y a des choses qu’on veut dénoncer mais on nous fait peur», expliquent les relogés.
Ils reconnaissent tous, dans le même temps, que les personnes du gîte ont transporté des malades vers le CHM… Tous affirment que les pompiers ont refusé de se déplacer au Bengali, malgré des signes inquiétants liés à la consommation d’une eau impropre, montrés par plusieurs personnes dont des enfants et une femme enceinte. L’ambivalence de ce moment…
Bloqués
La situation est censée être temporaire, mais ces relogés ne peuvent pas revenir dans leur village de départ et n’ont souvent plus que de liens lointains avec les Comores.
«Je vais essayer d’aller en métropole. Ma femme est là-bas, mon enfant aussi. Si la chance me sourit, je vais les rejoindre», explique un des relogés.
Problème : sa carte de séjour arrive à expiration et son attestation d’hébergement chez sa sœur n’est plus valable… suite au décasage. «Je ne sais pas quoi faire… Le préfet refuse que le gîte nous fasse des attestations d’hébergement…»
L’hypocrisie
Du petit groupe de personnes qui a souhaité nous raconter les semaines insupportables qu’ils viennent de vivre, il est le seul à réussir envisager une perspective. Et il porte un regard cruel sur les habitants de cette île où il était venu chercher une vie meilleure.
«Je trouve les Mahorais hypocrites… mais avant, c’était pire. Tu trouvais quelqu’un qui t’embauchait, et quand le boulot était fini, il appelait directement la police. J’invente pas, ça s’est vraiment passé beaucoup de fois!»
Un avenir en pointillé, et pas de réponse non plus pour la scolarisation de leurs enfants à la rentrée. Certains évoquent la possibilité d’organiser des cours dans le gîte. «Je suis inquiète pour mes enfants», nous dit une mère de famille. «Je veux qu’ils aillent à l’école pour ne pas en faire des vagabonds. Et même si c’est au Bengali…»
Une nouvelle réunion doit rassembler les responsables du gîte et la préfecture en ce début de semaine. Ils y décideront probablement du sort de ces décasés-relogés de force dans un endroit qui semble accepter de moins en moins leur présence.
RR
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