Rarement visite ministérielle n’aura été accompagnée d’une mesure aussi forte pour la politique de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui est chiffré à 9,6 millions d’euros annuels, avec rétroactivité de 42 millions d’euros depuis 2009. Elle avait été précédée des 10 engagements de Manuel Valls pour Mayotte.
Ces avancées sont la résultante de trois facteurs favorables : la critique de la Cour des Comptes d’une départementalisation mal préparée, les insuffisances pointées par le rapport de l’Inspection Générale de l’Action sociale qui chiffrait précisément à 10 millions d’euros la prise en charge de l’aide sociale à l’enfance, et les proches élections présidentielles.
Déclinée par une ministre engagée et qui ne fait pas semblant d’écouter, cette annonce est malgré tout bien esseulée. Les mesures de lutte contre l’immigration clandestine annoncée à Acoua sont une reprise du Plan Sécurité de Bernard Cazeneuve, détaillé il y a quelques mois par le préfet de Mayotte, et les 50 millions d’euros pour les constructions scolaires représentent l’enveloppe habituelle pour Mayotte.
Le mur de l’océan Indien
Rendons le à César, ce résultat obtenu pour l’ASE est le produit d’une action collective des élus, à commencer par l’amendement du sénateur Thani Mohamed sur la participation de l’Etat à l’enfance en danger dans tous les outre-mer, puis c’est la demande du président Soibahadine Ramadani d’un diagnostic de l’IGAS, le tout appuyé par les interpellations sur le thème de l’insécurité d’Ibrahim Aboubacar à l’Assemblée nationale.
Pourtant en dépit des mesures renforcées de lutte contre l’immigration clandestine, « on ne pourra construire un mur entre Mayotte et ses îles voisines », se défendait Ericka Bareigts, en conférence de presse vendredi soir. Justement, Mayotte soigne et scolarise la région, il faut donc mettre des moyens démultipliés face à ce constat, sous peine que la congestion des services hospitaliers et scolaires se poursuive, et que les professionnels s’épuisent.
Programmer les besoins en fonction de l’immigration
Nous avons interpellé la ministre sur ce sujet. En matière de soin, « une réflexion conjointe est menée avec l’hôpital de La Réunion, il faut avoir une vision d’ensemble ». Sur le plan scolaire, Ericka Bareigts ne pouvait que rappeler les 50 millions d’euros actuels pour les constructions du second degré, et les 10 millions pour le premier degré. Rien de nouveau donc. Pour mettre les moyens, un chiffrage officiel des besoins sur le moyen terme devient donc urgent. Du côté des syndicats le chiffre d’un manque de 600 salles de classe est avancé.
Les besoins sécuritaires sont un exemple du manque d’implication : les 76 policiers annoncés dans le Plan sécurité intégraient en réalité le remplacement d’agents déjà en poste, l’effectif de renfort se monte en réalité à 14. Alors que la petite délinquance est devenu un problème majeur de l’île, l’eurodéputé Younous Omarjee fustige cette approche : « Il n’y a pas de véritable annonce dans ce domaine. Nous n’avons pas besoin de GIGN sur les plages, mais d’îlotiers et de policiers de proximité. » Il juge l’ensemble de la visite « décevante ».
Depuis 2009, combien d’enfants en errance
Nous récoltons là la « bombe à retardement » que de nombreux sous-préfets avaient craint, et résultante de l’abandon conjoint des anciens exécutifs du conseil général, et de l’Etat, ce dernier étant le premier à blâmer. Car en ne reconnaissant qu’en 2016 son implication dans la politique sociale, souligné par Ericka Bareigts « la compétence de l’aide sociale à l’enfance avait été transférée en 2009 sans aucune compensation financière », l’Etat aura contribué a laisser combien d’enfants sur le bord de la route ? Combien de mineurs isolés ont grandi en ne connaissant que l’errance, pour basculer finalement dans une délinquance de survie ? Un réveil bien tardif de Paris.
D’autres secteurs sont à l’unisson, la fiscalité assassine, l’ingénierie, l’illettrisme… comme les égrenait le maire d’Acoua. Ils ont été nombreux à solliciter les conseillers de la ministre. L’Intersyndicale de la fonction publique qui avait accueilli la ministre avec un kwassa affichant « l’école coule », ressort des entretiens mi figue-mi raisin, en évoquant à la fois une ministre à l’écoute, qui a donné son accord pour « une méthode de travail dont le calendrier sera défini à l’issue des rencontres des 3 et 5 octobre », pour l’UD FO, mais mécontent de l’incertitude sur les contenus des décrets à paraître sur les indemnités IFCR et ISG, pour le SNUipp.
Les deux collectifs pour la révision de la fiscalité foncière à Mayotte ont été écoutés, puisque la ministre a déclaré devant les maires que « tout le monde est d’accord sur le caractère insoutenable de votre valeur locative, je travaillerai personnellement à la recherche d’une solution », mais seront-ils entendus, au moment où les nouveaux avis vont sortir.
« Mayotte pourrait devenir un bijou dans l’océan Indien », Darouechi Ahmed, le maire PS d’Acoua, interpellait ainsi la ministre. C’est une prise de conscience interministérielle dont Mayotte a besoin.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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