Philippe Nikonoff est un économiste spécialisé dans l’analyse des dynamiques économiques et fiscales territoriales. Après avoir été sollicité par l’Association des maires de Mayotte (AMM), son cabinet A6CMO a été contacté par la mairie de Mamoudzou pour étudier les bases et la structure fiscale de la commune.
Et le produit de l’étude a été remis en juillet dernier. On pourrait presque reprendre mot pour mot les vives critiques formulées contre l’Etat dans la version produite pour l’AMM. En y rajoutant d’autres éléments à charge, et explosifs.
Philippe Nikonoff avait reproché l’immobilisme de l’Etat au moment où les maires attendaient des documents pour fournir une proposition de refonte fiscale au gouvernement, à inscrire au projet de loi de finances 2017. La situation a à peine évolué, et pas dans le bon sens.
Car c’est une véritable galère fiscale que subissent les maires de Mayotte : valeurs locatives les plus élevées de France sur le territoire le plus pauvre, impossibilité d’ajuster les taux par insuffisance de documents, fichiers fiscaux, cadastraux, etc.
« Une situation inédite pour moi »
Philippe Nikonoff, revient dans son « Etude des bases et de la structure fiscale de la commune de Mamoudzou », sur la manière dont les maires ont récupéré le bébé « fiscalité de droit commun » : « Le vote des taux a été réalisé deux semaines après les élections municipales à partir d’un document transmis par la préfecture. Ce document indiquait un ‘tunnel de taux’, dans lequel le choix d’un taux faible générait un produit faible, un taux moyen générait un produit moyen et un taux fort générait un produit fort. » Mais sans que la commune dispose « de l’ensemble des informations évaluant les effets de ses choix. »
Une situation « inédite » pour lui, qui fut « ancien cadre de collectivité ayant eu à mettre en place un service fiscalité en 1982. Je n’ai jamais vu ça ! », confie-t-il au JDM.
Des éléments leur ont été fournis depuis, mais « très incomplets » : Le nombre de propriétaires identifiés dans le cadastre, remis en février 2016, « est inférieur à 60% des données INSEE », le fichier de la taxe d’habitation et des taxes foncières « n’a été remis que mi-juin 2016 », et les communes ne disposent pas encore du fichier de la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE).
4 à 5 millions d’euros non versés par l’Etat à Mamoudzou sur une année
Plus grave, l’Etat ferait des économies. Le fichier de la taxe d’habitation, « semble ne concerner que 15% de la population totale », en l’occurrence « les ménages disposant de forts revenus et comptant peu d’enfants à charge. » Donc, la population majoritairement à faibles revenus et au nombre d’enfants à charge élevé, n’est pas prise en compte dans ce fichier, précisément les cas qui impliqueraient une prise en charge importante de l’Etat, en compensation de l’impossibilité de payer la taxe de ces populations en difficulté… « Les compensations dues aux communes sur ces personnes absentes des fichiers ne peuvent être versées par l’Etat », souligne l’économiste, qui les évalue autour de 4 à 5 millions d’euros sur la seule taxe d’habitation, « et pour une seule année, et que pour Mamoudzou ! »
Ne possédant pas tous les documents, il ne peut évaluer précisément la perte pour l’ensemble du territoire, « mais elle pourrait atteindre 60 millions d’euros, étant donné que les populations des autres communes sont moins favorisées qu’à Mamoudzou. »
La situation est « aussi médiocre » concernant l’impôt sur les entreprises, puisque la valeur locative est là aussi « disproportionnée », « et les informations nécessaires au calcul de la Cotisation sur la valeur ajoutée ne sont pas disponibles pour les entreprises ayant plusieurs établissements. »
Un marché artificiel qui prive les femmes de leurs biens
« L’ensemble de ces éléments décrivent une situation hors norme, liée à l’évidence au manque d’anticipation et de planification que critique la cour des comptes », appuie-t-il, « il semble en effet que les réponses apportées à cette complexité ont été inadaptées car souvent trop simples : application tel quel du code des impôts et surtout, définition des valeurs immobilières à partir des prix d’un marché très artificiel. Or, la complexité du territoire aurait dû amener à prendre ses distances avec un marché artificiel pour lequel les baux ne traduisent pas le revenu. Le prix immobilier devrait refléter le revenu local et non celui des métropolitains, sinon les Mahorais (et surtout les femmes) ne peuvent acquérir des biens qu’ils possédaient souvent oralement. »
Un ensemble d’insuffisances qui ne peut que « déboucher sur des contentieux », selon Philippe Nikonoff. Il implore l’Etat dans un premier temps d’« acter ces défaillances ».
Et qui propose comme il y a quelques mois de : « Réduire la valeur locative de 60%, compenser intégralement la perte de ressources, Activer le réel recensement des contribuables de façon à améliorer les bases fiscales, Relancer les travaux interrompus au début des années 2000 sur l’adaptation du recensement aux spécificités des DOM, et Mettre en place un groupe de travail transversal chargé d’étudier la meilleure façon d’adapter le calcul des valeurs vénales (et donc des valeurs locatives, droits de mutation et droits de succession) au contexte Mahorais. »
Philippe Nikonoff ne décolère pas, il évoque des manquements« et qui viennent de Bercy et de Matignon. C’est là que les contribuables doivent aller protester ! »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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