Si la plateforme Msaidihé d’accompagnement des personnes handicapées en milieu ordinaire lance ce cri avec en photo de Une Ali Saïd, 45 ans, spécialisé en maintenance informatique et paraplégique, c’est que nous sommes encore loin de l’égalité réelle à Mayotte. A la fois sur la métropole, mais aussi par rapport aux personnes valides.
Et pour cause, tout n’est pas encore mis en place pour faciliter l’insertion des personnes souffrant de handicap dans le travail.
Issa Issa Abdou, le 4ème vice-président du conseil départemental, dont c’est la compétence à travers la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), en listait plusieurs points. « Le taux de chômage des personnes handicapées est le double de la moyenne française, 20% », et « l’obligation d’emploi ne concerne pour l’instant que les entreprises privées. Si l’AGEFIPH est présente à Mayotte, il n’y a pas encore de Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique », le FIPHFP.
Il s’agit pourtant du plus gros employeur à Mayotte. Une question d’évolution du code du travail qui gèlerait momentanément toute application de la réglementation dans le secteur public, selon François de Lavergne, Plan Régional d’Insertion des travailleurs handicapés, (PRITH). Un plan mis en place il y a 2 ans, dont il faut saluer l’initiative, puisqu’il réunit tous les acteurs sous l’autorité notamment de la Direction du travail, et qu’il s’assure l’accès des travailleurs handicapés aux dispositifs de droit commun.
Quand les valides se heurtent au handicap
Autre faille, rapportée par Issa Issa Abdou, notre territoire n’a toujours aucun indicateur permettant d’évaluer le nombre de personnes touchées par un handicap, « chaque acteur ayant ses propres informations », mais avec une « vue partielle » du handicap. La MDPH qui joue déjà le rôle de guichet unique en orientation, doit aussi recueillir les données chiffrées, « pour pouvoir mettre en place les réponses aux besoins identifiés. »
Et, autre inégalité réelle, il faut être atteint de handicap à 80% à Mayotte pour bénéficier d’une allocation, contre 50% en métropole…
A l’issue de son discours, des hommes et femmes en fauteuil roulant s’essayent sur un parcours semé d’embuches, installé par l’association Toioussi, tandis que l’Association des déficients sensoriels de Mayotte (ADSM) propose des reconnaissances de pièces de monnaie. Des adultes valides se heurtent au handicap en grimpant un escalier, après avoir chaussé des lunettes d’aveugles, et en tâtant le sol d’une canne blanche.
650 personnes recrutées en situation de handicap
La Semaine est européenne, et consacrée à l’emploi des personnes handicapées. A Mayotte, toutes les entreprises de plus de 20 salariés doivent employer au moins 2% de personnes handicapées, (6% en métropole), « nous n’y sommes pas encore », souligne Marie-Claude Lescourant, la directrice de la MDPH. « Pourquoi se priver d’une partie de l’intelligence du monde ?! », s’interroge François de Lavergne.
Le taux en emploi est difficile à obtenir car il faut la encore mutualiser les données. Le Prith en dénombre 650 Reconnaissances de la Qualité de Travailleur handicapé (RQTH) fin 2015 (+25% entre 2011 et 2014). Et en mars 2016, 144 Demandeurs d’emploi Travailleur Handicapé étaient inscrits à Pôle emploi. Le Prith n’avait pas de chiffres de la Mission locale.
Comme on parle de révolutionner notre modèle économique en intégrant une autre manière de produire et de consommer, il faut apprendre à transformer le fonctionnement de nos entreprises pour dédier des postes adaptés aux travailleurs handicapés, souvent bien plus volontaires et professionnels que des salariés valides.
Dîner à l’aveugle
Cette sensibilisation des chefs d’entreprise, c’est le premier axe de travail de la directrice par intérim de la MDPH, Marie-Claude Lescourant, « notamment en direction des personnes valides. Deux bonnes nouvelles sont à souligner, l’application au 1er janvier 2017 de la Prestation de compensation du handicap, et la mise en place d’un Fonds de compensation. » Elle compte également travailler avec les autres collectivités « pour informer la population au plus prés. »
Un peu plus loin à l’ombre, abrité dans leur bulle ou par leur cagoule, des Enfants de la Lune attendent leur tour au stand de la Mission locale. Ils sont 16 jeunes ou adultes à être pris en charge à Mayotte pour cette maladie génétique qui les rend intolérants aux UV. Moussa est l’un d’entre eux. Fraîchement bachelier, « grâce à un aménagement des salles, des cours, et du poste informatique à ma vue », nous explique-t-il, il cherche à décrocher un stage. Il bénéficie déjà du dispositif européen IEJ : « J’ai eu un Bac en Gestion administrative, et je ne veux pas m’arrêter là. Je vais regarder du côté du Centre universitaire ou essayer de décrocher une formation. »
Il nous demande de préciser que les parents doivent tout faire pour dépister leur enfant le plus tôt possible, « sans quoi à 5 ans, ils risquent de graves brûlures de peau et d’attraper le cancer. Dès 12 ans, on a plus de résistance. » De la résistance, il va lui en falloir, lui qui plaisante sur sa cagoule, « c’est plus pratique que la bulle pour écouter les autres, et au moins, c’est plus proche de la forme de mon visage ! »
Toute la semaine (programme-semaine-travailleurs-handicapes), le Prith propose des actions « un jour un métier ». Des ateliers CV en ligne sont proposés dès ce mercredi matin chez ACE Msaidihé. Jeudi matin, le focus sera mis les transitions entre fin de scolarité et accès à l’emploi, alors que l’après-midi au cinéma Alpa Joe, vous pourrez découvrir une pièce de théâtre, puis un dîner à l’aveugle au restaurant d’application du lycée de Kawéni. Enfin vendredi, la matinée de clôture de fera au conseil départemental, avec les interventions de tous les professionnels.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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