C’est la semaine de l’Histoire à La Réunion. A cette occasion, une série de conférences est organisée et l’une d’elle a retenu l’attention de la presse réunionnaise. Elle est donnée par Wilfrid Bertile, personnage multi-facettes bien connu dans l’île Bourbon, qui a repris sa casquette de géographe pour parler des Mahorais installés à La Réunion.
La première question délicate qu’il aborde est celle du nombre de Mahorais installés chez nos voisins. Et pour lui, pas de doute, ils seraient «beaucoup moins nombreux qu’on ne le croit». «Le dernier recensement de l’Insee en 2013 donne 6.246 personnes nées à Mayotte qui vivent à La Réunion. Certaines statistiques donnent 12.500, la presse en général 30.000 et la fédération des associations mahoraises 60.000. Je pense que ça doit tourner autour de 10.000», explique Wilfrid Bertile qui parle «d’une immigration subie de Français en France».
Cette immigration est en effet loin d’être choisie et elle serait même «doublement subie». D’abord par les Mahorais eux-mêmes, «qui fuient la misère et l’instabilité de leur île, or toute migration est un traumatisme. Ensuite, certains Réunionnais semblent subir cette immigration si on regarde certaines attitudes vis-à-vis des Mahorais, surtout sur les réseaux sociaux», relève le géographe.
Nos ancêtres les Mahorais
Wilfrid Bertile retrace l’histoire de ces déplacements et rappelle aux Réunionnais que les Mahorais sont nombreux parmi leurs ancêtres. L’archipel des Comores était en effet sur la route des esclaves vers les Mascareignes. «Les Mahorais ont constitué une composante de la société réunionnaise, comme les Mozambicains, les Malgaches», explique-t-il.
Ensuite est venu «l’engagisme», cette période qui a succédé à l’esclavage, durant laquelle des milliers de personnes ont été «engagées» au service d’un propriétaire terrien, en provenance d’Inde, du continent africain, de Madagascar, de Chine, d’Europe et bien entendu de notre archipel.
«Puis il y a eu une immigration plus récente, dès 1975. D’abord des jeunes qui venaient faire des études dans les lycées et les collèges et d’autres qui venaient chercher un travail. Comme ils ont été très mal reçus, ils sont retournés à Mayotte en étant très remontés contre La Réunion». Pour finir, la dernière vague d’immigration, débutée durant les années 1990, «beaucoup plus importante numériquement» et pour beaucoup constituée «de femmes seules avec des enfants, pour percevoir des prestations sociales et familiales, plus élevées qu’à Mayotte».
Wilfrid Bertile note ainsi qu’il «y avait 1.490 Mahorais à La Réunion en 1990 et en 1999, on était à 6.000. Depuis le début des années 2000, le chiffre global n’a pas beaucoup augmenté mais il y a un très fort renouvellement.»
Une communauté très concentrée
Si les chiffres sont bien moins importants que ne le croit le consensus général, c’est qu’il existe une forme de «surreprésentation de la communauté mahoraise dans la conscience collective de La Réunion» que le géographe explique par le fait que la communauté est très visible car très concentrée: «63 % des Mahorais de La Réunion vivent dans cinq communes : Saint-Denis, Saint-André, Le Port, Saint-Pierre, Saint-Louis».
Et si les Réunionnais leur reprochent de percevoir de très nombreuses prestations sociales, Wilfrid Bertile met aussi des chiffres sur cette question. «93 % des ménages mahorais perçoivent des allocations familiales et 72 % sont au RMI, avec un taux de chômage extraordinaire, sans doute lié à une formation insuffisante mais, au-delà, il y a une certaine discrimination à l’embauche», car -c’est un fait bien connu- les Mahorais sont perçus très négativement par les Réunionnais.
Des Mahorais mal perçus
«Cela pose un double problème. D’abord, c’est une composante de la population réunionnaise que l’on a des difficultés à intégrer. Est-ce que ça veut dire que notre modèle est en panne? Ce n’est pas un problème de religion parce que l’islam, à La Réunion est bien intégré. Ça questionne surtout, je crois, la société réunionnaise sur elle-même, parce que les Mahorais arrivent en concurrence avec les classes populaires réunionnaises, sur les logements, les emplois, les aides sociales. Donc, on rend les Mahorais responsables, à tort puisqu’ils sont peu nombreux, d’un équilibre un peu branlant. Ça ne repose pas sur des bases objectives puisque les Mahorais ne représentent que 0,7 % de la population.»
Pour le géographe, ce phénomène fait craquer le «vernis du vivre-ensemble», dont les Réunionnais se sont autoproclamés les champions, «une non-acceptation de la différence de la part de certains Réunionnais qui révèle leur mal-vivre leurs difficultés économiques».
Pour autant, rien n’est figé. Pour changer les choses, il préconise que Mayotte aille «au bout de la départementalisation» pour répondre aux besoins de la population mais aussi qu’à La Réunion, on s’attaque aux «problèmes de langue, de formation»… Et Wilfrid Bertile de conclure qu’il «faut aller vers un codéveloppement de La Réunion, de Mayotte et des Comores»… Mais là, c’est un tout autre chantier.
RR
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