On ne les appelle plus « isolés », ces enfants laissés à eux-mêmes dans les rues, mais « non accompagnés ». Une requalification qui pourrait s’apparenter à une pudibonderie de langage, mais qui se rapproche de la réalité puisqu’il y a un responsable quelque part de leur mise au monde, au moins de leur éducation. Si ce ne sont les parents, c’est la société à travers les services adéquats.
Pour voir comment cela se passe dans l’autre département d’outre-mer dont on nous dit avoir les problématiques les plus proche, la Guyane, mais surtout invité par son président de collectivité territoriale à l’occasion de la Semaine de protection de l’enfance, Issa Issa Abdou, 4ème vice-président chargé du Social et de la santé à Mayotte, en est revenu à la fois interloqué, et la tête remplie de dispositifs dont il faut s’inspirer.
« J’ai été frappé de voir que dans un département touché par l’immigration clandestine, et à la population comparable à la nôtre, il n’y avait aucun enfant dans les rues fouillant les poubelles », rapporte-t-il, en soulignant l’arsenal renforcé dont s’est doté le département ultramarin d’Amérique, « beaucoup plus de familles d’accueil, le dispositif ‘tiers dignes de confiance’, des foyers de l’enfance, peu transposables ici, et des centres éducatifs renforcés du même type que Tama. Pourquoi ne les développerions-nous pas en Union des Comores, dans le cadre d’une coopération régionale, pour que les jeunes en situation irrégulière, condamnés par la justice, aillent en centre éducatif renforcé là-bas. »
« Sur 1.500 informations préoccupantes, plus de la moitié ne sont pas traitées »
Autre grosse différence, la chaine de signalement des enfants en danger fonctionne plutôt bien en Guyane. Pas à Mayotte, le procureur l’a suffisamment répété. Or, Issa Issa Abdou le dit, « nous n’en sommes qu’au fax à Mayotte, pour ne pas dire au Moyen-Age ». Pour améliorer la rapidité de la transmission des données à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) comme « bass maltraitance » à Mayotte, il faut à la fois « améliorer le traitement mécanique par l’adoption d’un logiciel de droit commun », et « étoffer les équipes ».
Lorsqu’ils appellent le 0639 09 08 08, les acteurs que sont les établissements scolaires ou les Unités d’action sociale doivent pouvoir compter avec certitude sur le traitement de l’information, « or, sur 1.500 informations de maltraitance reçues par an, plus de la moitié ne sont pas traitées. Le décalage est énorme », confie Issa Abdou.
Un dispositif qui pourrait être mis en place en trois semaines maximum selon lui, « il suffit de demander à la fois à la préfecture et au Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger, le SNATED, de permettre notre accès au 119, comme partout en France, pour recevoir tous les appels relatifs aux informations préoccupantes. »
Recenser le nombre d’enfants concernés par commune
Parallèlement, l’élu pense à un maillage du territoire pour définir précisément les problématiques de ces enfants non accompagnés : « Nous travaillons sur le Schéma de l’enfance et des familles pour la période 2017-2021, et devons dans ce cadre habiliter les associations avec des commandes claires. Sur les 2.000 ou 3.000 enfants estimés dans les rues, environ 400 sont pris en charge sur 80 familles d’accueil. Où sont les autres ? Nous devons avoir des chiffres plus précis par commune, pour fixer ensuite le nombre d’associations à habiliter, et vérifier leur capacité réelle à les gérer. »
Pour faire ce recensement, il va falloir recruter des éducateurs, « ils devront faire de la prévention sociale, pour discuter avec ces mineurs, et cerner leur lieu de vie. Par exemple sur Kawéni, identifier ceux qui ont une maison, et pour lesquels il faut mener un travail sur le problème de parentalité, et ceux qui sont vraiment seuls, pour les prendre en charge. On aura ainsi réussi à quadriller le territoire, et à sortir les enfants de la rue. »
Un travail qui va demander des moyens, « et que l’on va pouvoir financer avec les 42 millions d’euros promis par la ministre. » Une somme destinée à rattraper les investissements que le conseil départemental a déjà effectués dans l’action sociale depuis 2009, « et qui implique que l’on chiffre les coûts d’habilitation des associations, et de recrutement des éducateurs. »
Avec l’Etat, du gagnant-gagnant pour l’enfance
Il envisage de rencontrer le préfet et les services de l’Etat pour travailler dans un premier temps sur la structure idéale pour à la fois gérer le fonds de rattrapage de 42 millions d’euros, à la fois garantir leur dépense dans la vision qui vient d’être développée, « nous devons donner des gages mutuels à travers une convention », mais aussi demander à l’Etat de jouer son rôle régalien de lutte contre l’immigration clandestine, « il ne faut pas que demain, d’autres enfants arrivent et se retrouvent livrés à eux-mêmes. »
En Guyane, les collectivités ultramarines ont signé conjointement une motion : territoires aux taux de chômage les plus élevés de France, ils s’insurgent contre leur exclusion du Conseil national de protection de l’enfance, « c’est là que se prennent toutes les décisions », lâche Issa Abdou.
Ce fut une expérience « tellement enrichissante », répètera à plusieurs reprises le vice-président, qu’il a proposé d’organiser à Mayotte la Semaine de l’enfance 2018 : « C’est une opération d’envergure sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler, et qui servirait à éveiller les consciences collectives à Mayotte. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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