Le Séminaire d’évaluation de la formation professionnelle et de l’insertion des jeunes à l’horizon 2030, se tenait la semaine dernière, sans la représentante de l’Education nationale… Voilà qui fut paradoxal, étant donné le lien étroit entre la scolarité et le niveau des jeunes à former.
Surtout que c’est sur ce sujet précisément qu’était invitée à s’exprimer Nathalie Costantini au Séminaire économique de l’océan Indien, organisé en février dernier au Sénat, sur la 2ème table ronde : « Quelle prise en compte des contraintes et des spécificités de deux territoires au confluent de deux continents ?, du point de vue de la formation. »
La vice-recteur rejoint l’opinion du directeur d’OPCALIA, Kadafi Attoumani : « Avant de former, il faut s’interroger sur ce que l’on veut développer à Mayotte », note-t-elle à son tour, « on évoque le tourisme et des hôtels de luxe, mais comment le rendre effectif sans assainissement et avec un approvisionnement aléatoire en eau ? »
Et les comptes de la population cible sont vite fait, « nous ne pourrons pas insérer 2.800 personnes arrivant chaque année sur le marché du travail. »
Coller à la réalité
Il faut intégrer trois dimensions selon elle, qui doivent guider les orientations de la formation : « L’implication géographique dans la sous-région et aux confluent de deux continents, l’intégration en tant que Région ultrapériphérique européenne, et une vision temporelle : veut-on former pour les besoins d’aujourd’hui ou de demain ? »
Seule la prise en compte de ces 3 dimensions permettra « d’exporter des jeunes en dehors de l’île. Nous pouvons passer alors d’une vision centripète, tournée vers des besoins primaires et qui excluent le plus grand nombre, vers une vision centrifuge, en lien avec la zone océan Indien, et au delà. » Nathalie Costantini suit un fil rouge, « Former pour ici et pour ailleurs, pour maintenant et pour demain ».
Elle l’illustre avec le concept d’ « Ingénierie frugale* » du phénomène Logan puis Duster : « Renault a fait un tabac en proposant une voiture à moindre prix qui se jouait des routes en mauvais état. Pour répondre aux besoins du territoire, il faut regarder ce qui se fait ailleurs, et le faire coller à notre réalité, car selon l’INSEE, 40% des diplômés ne trouvent pas de travail à Mayotte. »
Copilotage Etat-Région
La montée en gamme doit se faire progressivement, « le besoin actuel en architectes ne doit pas conduire à la création immédiate d’une école ici. D’un autre côté, il faut limiter les CAP, qui sont de moins en moins demandés au profit des bacheliers. Il faut passer ensuite au BTS puis aux masters. »
Une structure pourrait proposer ce prévisionnel en intégrant ces données, le CREFOP, Comité Régional de l’Emploi, de la Formation et de l’Orientation Professionnelles, copiloté par la région Mayotte et le préfet, et qui favorise la coordination entre les acteurs locaux. Sa préfiguration existe d’ailleurs à Mayotte, le Comité de coordination mahoraise de l’emploi et de la Formation professionnelle (CCMEFP), orchestré par le conseil départemental. « Il faut activer ou réactiver cette structure qui pourrait nous proposer une vision à plus long terme et rayonnant dans l’océan Indien. » Un CREFOP bicéphale semble toutefois indispensable.
Stabilité des décideurs
Le vice-rectorat va montrer l’exemple en proposant aux jeunes en apprentissage de passer plusieurs semaines de stage en entreprise à l’étranger : « Je suis en train de créer un GIP qui gèrera les fonds européens dans cette optique. »
Pour Nathalie Costantini la formation ne peut se faire isolément de la construction du territoire : « Dans les années 80, il fallait répondre aux besoins primaires du territoire, puis ensuite, après la massification de l’enseignement, nous sommes passés aux besoins apparents, avec la mise en place des1ers BTS PME-PMI en 2003, la formation entrainait avec elle la construction. Enfin, il faut définir les choix d’avenir qui englobent Mayotte dans sa géographie, pour que les deux aillent de pair, ce qui peut se faire à travers deux axes clé : le tourisme et le hub maritime. »
Il va falloir agiter les méninges comme en témoigne la citation de Navi Radjou, reprise par la représentante de l’Education nationale : « L’innovation frugale est une affaire d’ingéniosité humaine. » Elle en fait preuve en demandant une stabilité des décideurs, notamment en préfecture : « Il faut un quinquennat, avec changement par tiers afin d’assurer une continuité qui ne sera que bénéfique au territoire. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Art de faire les choses en mobilisant un minimum de ressources
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