L’ylang-ylang et Mayotte, c’est une histoire qui remonte au début des années 1900. A son apogée dans les années 1950 à 1980, la production s’étend sur plus de 1.000 hectares et une quinzaine de tonnes d’huiles essentielles est exportée chaque année. Les grands domaines s’appellent alors Bambao, SPPM, Achery-Bellemare… Mais aujourd’hui, il n’en reste presque rien. Le recensement agricole de 2010 faisait état d’à peine 145 hectares cultivés par des petits producteurs qui gèrent chacun, des surfaces de quelques milliers de mètres carrés.
Pourtant, Mayotte s’était fait un nom à l’échelle mondiale. Avec les Comores et Madagascar, nous étions reconnus pour présenter des conditions privilégiées et pour produire des huiles essentielles de très bonne qualité. Les caractéristiques de notre terroir et les variétés d’ylang présentes à Mayotte nous conférait même un avantage, notamment du fait de la qualité des «fractions de tête» (nos huiles essentielles contiennent 5 fractions), qui suscitaient un réel intérêt pour les marchés haut de gamme de la parfumerie fine.
Aujourd’hui, nos ylangs sont en fin de vie. Les plantations actuelles ont pour la plupart entre 50 et 70 ans d’âge. Et seulement une dizaine d’hectares a été replanté depuis 2005. «Les producteurs qui ont conservé leurs arbres l’ont fait par passion et par espoir que la filière se relance», note la Daaf. Et, de fait, il y a matière à espérer. Les aides agricoles récentes (2014), mises en place dans la cadre de la politique agricole commune (PAC) de l’Europe, proposent une majoration «ylang» qui compense en bonne partie les coûts d’entretien et de taille des arbres. Sur les 198 exploitations qui exploitent 143ha, les aides PAC permettent de maintenir actuellement à minima une centaine d’hectares.
Le coût de la récolte
La culture n’est pas si facile car la production coûte cher. Entre l’entretien et la récolte, le poste «main d’œuvre» pèse plus de 80% des charges. Il faut tailler les branches pour éviter qu’elles ne montent, débroussailler les plantations 2 à 3 fois par an, et cueillir tôt le matin, généralement à partir de 5 heures jusqu’à midi, d’avril à octobre. La récolte peut même s’étirer jusqu’à décembre en situation de saison sèche prolongée.
Dans les champs d’ylang, les cueilleuses sont payées au kilo ramassé, avec un rendement maximum de 5 kg/heure… même si la seule forme de rémunération autorisée un paiement à l’heure travaillé. Et on comprend pourquoi. Rapporté au litre d’huile essentielle en «complète» (les 5 fractions mélangées), le coût de production (entretien + récolte) s’élève à 83.80 €/l pour une rémunération au rendement, contre 173 €/l pour un paiement à l’heure.
Une distillation très chère
Les services de la Daaf ont également calculé le coût de la distillation, proportionnel au temps de chauffe. Les fractions nobles (Extra S, Extra et 1ère qualité) sont extraites en 6 heures. Mais, les producteurs font durer jusqu’à 20 à 24 heures afin d’avoir la « complète », du fait du peu de vente actuelle aux parfumeurs et du développement d’un marché local autour des cosmétiques et de la vente aux touristes.
Le choix du combustible de chauffe est aussi important et fait aussi varier le coût entre le bois (480€ pour 2 tonnes de fleurs par an et le pétrole (1200€/ha/an). Ajouté au temps de travail, le coût de distillation est d’environ 100 €/litre d’huile essentielle.
En clair, sans subvention, le prix de revient d’1 litre d’huile essentielle (production et distillation) à Mayotte est de 182€ (avec paiement de la main d’œuvre au rendement) ou de 271 € pour un paiement au SMIG horaire… Autant dire que ces coûts nous place bien au-dessus des cours d’achats internationaux: le litre de «complète» était acheté en décembre 2015 à 81 € à Anjouan.
Des coûts compensés par les aides
Aujourd’hui, même si l’huile essentielle est à la hausse (entre 110 à 120€ le litre), compte tenu d’une demande forte sur le marché, le prix de revient à Mayotte est donc 2 à 3 fois plus élevé que le prix du marché. «A ce prix, seuls persistent ceux qui valorisent cette culture en pratiquant l’agrotourisme ou en développant une gamme de produits et de cosmétiques, vendus à un prix découplé du prix de l’huile essentielle», estime la Daaf.
Pour compenser ces surcoûts structurels locaux, toute une batterie d’aides publiques sont prévues. Cette compensation monte à plus de 120€ par litre d’huile ou 6000 €/ha, ce qui rapproche le prix de revient du cours international.
Un pôle d’excellence rural
Correctement utilisé, ce dispositif d’aide permet déjà l’équilibre économique de la filière et le retour à Mayotte d’acheteurs ou de distillateurs vendeurs. Sa pleine maximisation nécessite cependant une organisation collective forte de la filière, avec une interprofession en capacité d’apporter un réel soutien technique, économique et administratif à tous les acteurs et de veiller à l’équilibre des comptes des différents maillons de la filière, répercutant au maximum les aides sur le prix de la fleur au producteur.
La mise en place à Coconi, sous l’égide du Conseil Départemental, du PER (Pôle d’Excellence Rural) «Ylang» orienté plantes à parfum et médicinales (PAPAM), va permettre le développement d’une politique de promotion, de diversification et d’innovations spécifiques à la filière, en mettant à disposition des acteurs un pôle de recherche, un pôle économique et un pôle éco-touristique.
L’ylang de Mayotte pourrait donc connaître une nouvelle jeunesse.
RR
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