L’affaire avait fait grand bruit au milieu de l’année 2014. Un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) avait tiré à balle réelle sur des voleurs au magasin Musada. Ce 11 juin 2014, aux environs de 23 heures, le vigile de la Musada est alerté par le déclenchement de l’alarme. Logiquement, il appelle la police. Pas de chance pour les voleurs, une patrouille de la BAC est dans les environs et arrive rapidement sur les lieux. Les voleurs sont littéralement pris la main dans le sac alors qu’ils tentent de subtiliser des tuyaux. Les trois jeunes complices sont poursuivis par les policiers, l’un d’entre eux est attrapé par un des fonctionnaires.
Mais le voleur ne se laisse pas faire et assène un coup de poing au policier, tout en appelant ses acolytes à venir le «massacrer» car «il est tout seul». Ce n’est évidemment pas le cas, un autre policier est présent à proximité et décide de faire usage de son arme. Il tire à balle réelle.
La balle touche un des jeunes voleurs, à deux centimètres du cœur, noteront les experts, tandis que ses complices prennent la fuite.
Le jeune est attrapé un peu plus loin, en sang, et transféré au CHM. Sous anesthésie générale, on lui a extrait la balle, il a quatre impacts sur sa poitrine et son bras. L’incapacité totale de travail est estimée à 20 jours. Au CHM, son avocate indique qu’il manifeste le souhait de déposer plainte contre les officiers de police: «Je ne méritais pas de me faire tirer dessus», déclarait-il alors.
Le voleur-agresseur condamné
Mais le jeune homme est un dur à cuire… Il parvient à s’enfuir de l’hôpital. Rattrapé une nouvelle fois un mois plus tard pour d’autres faits de cambriolage, il est alors jugé en comparution immédiate et condamné à deux ans de prison dont un ferme.
Un volet des événements de la tentative de vol de la Musada passe une première fois en justice quelques mois plus tard, en janvier 2015. Le jeune est jugé pour les violences commises ce soir-là contre les policiers. Très logiquement, il écope d’un an de prison ferme et est placé sous mandat de dépôt. Il doit indemniser les policiers à hauteur de 1.000 euros de dommages et intérêts pour chacun d’eux.
«Et depuis rien…»
Mais une autre partie de l’affaire aurait dû se retrouver devant le tribunal, celle des tirs de policiers. Depuis son lit d’hôpital, sur les conseils de son avocate, Me Marjane Ghaem, le jeune a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction contre l’officier de police pour des faits de violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours (voire une infirmité permanente), puis une deuxième le 24 février 2015. «Et depuis rien…» s’étonne Me Ghaem. Mais la plainte n’a jamais été instruite.
«Au mois de novembre 2015, j’ai pris attache avec le doyen des juges d’instruction qui m’informait avoir transmis dès réception ma plainte au Parquet qui n’avait pas encore désigné de cabinet d’instruction pour examiner la plainte».
L’avocate, va ensuite solliciter le procureur de la République de Mamoudzou en novembre 2015, et après plusieurs relances, elle comprend qu’un juge d’instruction a été désigné pour instruire le dossier.
L’avocate «choquée»
«A ce jour, près de deux ans après le dépôt de sa plainte avec constitution de partie civile, mon client n’a toujours pas été convoqué et entendu dans le cadre de cette procédure», constate Me Ghaem. Le dossier a-t-il été transféré, la juge d’instruction a-t-elle demandé à être dessaisie du dossier? Impossible de savoir.
«J’ai la nette impression que l’on tente par tout moyen de faire disparaître ce dossier», dénonce l’avocate, «ce qui est encore plus choquant lorsque l’on sait que la plainte déposée par les mêmes policiers à l’encontre de mon client a été examinée avec une célérité exemplaire puisqu’il a été jugé dès le mois de janvier 2015 et a passé quelques mois en prison pour tentative de vol et violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique.»
Le traitement du dossier
Pour l’avocate, «beaucoup de zones d’ombres» demeurent autour du déroulement des événements et elle s’interroge sur «la notion extensive de légitime défense pour des policiers qui ont indiqué avoir fait usage de leur arme pour riposter contre des jets de pierres qui ne seront jamais retrouvés», affirme-t-elle, expliquant être «en colère contre la façon de ne pas traiter ce dossier».
La justice passera-t-elle? L’avocate l’espère, pour que la lumière soit faite sur l’emploi des armes fait ce soir-là. A Mayotte, malgré le contexte d’intervention souvent très difficile des forces de l’ordre, les tirs à balles réelles restent tout à fait exceptionnels. La justice comme la police auraient tout à gagner à clarifier les événements de ce mois de juin 2014, en menant les investigations à leur terme. “Je vois mal quel message on envoie en effet aux jeunes de Kawéni avec une justice à deux vitesses”, conclut l’avocate.
RR
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