Fortes tensions aux abords du tribunal correctionnel de Mamoudzou, ce mercredi matin. Le président Sabatier devait rendre son délibéré sur l’affaire du «décasage» du 16 mai 2016 à Bouéni.
Une foule s’est rassemblée en soutien à la femme poursuivie, dont des membres du CODIM et du «collectif des assoiffés du sud». Le dispositif de police et de gendarmerie est important et filtre les entrées, jusqu’à bloquer momentanément le passage de journalistes, dont la journaliste du JDM… Le tout sur fond de score très élevé du Front national dimanche dernier, souvent justifié, entres autres, par le déroulement de cette affaire.
A 8h00, dans ce climat tendu, Laurent Sabatier rend le jugement tant attendu. La femme poursuivie est condamnée pour tous les chefs de poursuites qui pesaient sur elle: discrimination, violation de domicile et expulsion illégale. Elle est condamnée à 6 mois de prison avec sursis simple. Elle devra également effectuer un stage de citoyenneté.
Le tribunal la condamne aussi à verser des dommages et intérêts, 5.000 euros pour le préjudice matériel, et pour le préjudice moral, 2.000 euros pour la victime et 2.000 euros pour chacun de ses 3 enfants, soit 13.000 euros au total.
La victime se déclarait soulagée après ce délibéré alors que le CODIM (collectif pour la défense des intérêts de Mayotte) annonçait qu’il allait faire appel. Ses membres ne sont pas satisfaits du verdict, considérant que “c’est toujours aux Mahorais de payer alors que l’Etat ne fait rien”.
A l’extérieur du tribunal, les soutiens de la femme condamnée indiquaient également que “les actions vont continuer”, disant vouloir “chasser” la victime et “ne plus la laisser habiter à Bouéni”. Ils accusent également la victime d’être une habituée des procès pour “se faire de l’argent” et d’héberger des clandestins chez elle.
Enfin, la politique s’est invitée dans les réactions. Parmi les soutiens de la femme condamnée, de nombreuses personnes affirmaient haut et fort qu’elles allaient voter Marine Le Pen au 2nd tour de la présidentielle.
Un décasage à Bouéni
Voici le rappel de l’affaire. Ce 16 mai 2016, au petit matin à Bouéni, une foule de femmes délogeuses se déplace de cases en maisons, jusqu’à arriver devant celle de Mouniati*. Pas un banga en tôle, mais une maison en dur.
A l’intérieur s’y trouvent deux familles dont certains membres sont en situation irrégulière et d’autre sont en règle. Ils craignent d’être agressés après avoir reçu des menaces de la propriétaire. La locataire a pourtant une carte de résident de 10 ans, et le frère de la locataire s’est réfugié chez elle, lui-même victime d’un décasage. Mais dans la maison se trouvent aussi un représentant de la Cimade, alerté de la situation.
La jour de l’audience, le témoin avait raconté les faits à la barre. «Vers 10h, on a entendu l’arrivée de la foule, une centaine de personnes, dont une dizaine pénètre à l’intérieur de la maison, un dialogue agressif en shimaoré s’installe», avait raconté Yohan Delhomme, directeur de la Cimade Mayotte. «La personne qui traduit explique que la propriétaire exige le départ de sa locataire. Celle-ci rappelle qu’elle est en situation régulière, détient un bail, et demande un préavis. La propriétaire arrache alors la porte du salon, nous tentons de protéger les 4 enfants de la famille en pleurs. Les vitres explosent, projetant des bouts de verre autour d’eux. La gendarmerie intervient alors pour nous demander de partir, ne pouvant intervenir devant une foule aussi nombreuse.»
La meneuse, «était armée d’un marteau, pour détruire les portes.» Les témoins la désignent. C’est la propriétaire qui menace alors de revenir à 15h en l’absence de départ.
Pas le droit de se faire justice
A la barre, la propriétaire B.S. avait évoqué en shimaoré la pression de la population de Bouéni «qui m’avait donné un courrier pour que je fasse partir ma locataire.» Elle minimisait son action, «je récupérais les portes pour les mettre à l’abri». Elle avait nié avoir tenu des propos racistes contre les étrangers ou contre les mzungus.
B.S. expliquait son action par des loyers impayées (300 euros en liquide mensuels), ce que dénonçaient la victime et son avocate.
Lors de l’audience, Laurent Sabatier avait rappelé la loi: « Vous n’avez pas le droit de vous faire justice, beaucoup d’innocents en sont victimes, et votre locataire en est la preuve. Quand un loyer n’est pas payé, on saisit le tribunal en vue d’une éventuelle expulsion. Les enfants ont le droit d’être protégés par leurs parents et par la société qui les entoure. L’Etat de droit, c’est l’inverse de la force. Le tribunal, c’est l’inverse du lynchage.»
Mouniati avait expliqué à la barre avoir vécu le pire moment de sa vie. «Je suis depuis 14 ans à Mayotte. Heureusement que j’ai pu compter sur la solidarité des gens qui m’ont entouré. J’ai confiance dans le tribunal français, mais j’ai dû faire partir mes enfants en métropole. Les jumelles sont avec mon mari, mais ma fille aînée est chez des amis. Ils me manquent, mais je suis la seule à avoir un salaire.»
«Chasse aux sorcières»
La substitut du procureur, Laurence Prampart, avait rappelé que «les Mahorais ont voté il y a 6 ans pour les lois de la République, ce qui implique qu’on ne peut se faire justice.» Elle avait invité ceux qui sont confronté à une occupation illégale d’un terrain «à aller voir les élus locaux et nationaux. Et le procureur. Or, nous n’avons eu aucun signalement, aucune dénonciation pour activer une procédure légale.»
Elle avait évoqué une «chasse aux sorcières contre les comoriens» et souligné que, dans cette affaire, «la propriétaire (mahoraise) s’exprime en shimaoré alors que Mouniati (l’étrangère) parle en français!» Vu la gravité des faits et le contexte, elle avait demandé 8 mois de prison, dont 4 ferme, assortis d’une mise à l’épreuve de deux ans.
L’avocat de la logeuse-délogeuse, Elad Chakrina, étonnamment absent lors de cette affaire sensible, avait envoyé un jeune collaborateur pour défendre sa cliente. Il avait justifié l’action des collectifs: «Les autorités ne réagissent pas, ni le préfet, ni le président du conseil départemental, ni la justice.» Me Delamour avait produit une pièce contenant 18 noms qui innocenterait sa cliente et avait demandé la relaxe. Il n’a donc pas été suivi par le tribunal.
La rédaction.
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