Moinaecha est venue au procès, elle veut endiguer les cauchemars qui ne la quittent plus. « Vous avez entendu un coup de feu ? », l’interroge à la barre le juge Laurent Sabatier. Non, elle n’a rien entendu, mais, alors qu’elle quittait les lieux, a ressenti une douleur à la nuque et s’est effondrée sur le sol. Elle se souvient de s’être réveillée à l’hôpital. Une incapacité totale de travail de 10 jours lui est délivrée, « j’ai des morceaux de plomb partout dans la tête et dans les reins », explique-t-elle.
Ahmed*, lui, explique que lorsqu’il est passé en force, sa compagne assise à côté de lui, des jeunes ont donné des coups de poing sur le capot de la voiture. « J’ai eu peur, j’ai sorti mon arme. » Mais Laurent Sabatier va montrer que le geste n’a rien de spontané, puisqu’il va prendre le temps d’aller chercher une cartouche dans sa glacière, de l’insérer dans son fusil tout en le dépliant, d’enlever le cran de sureté et de tirer. Fait aggravant, il n’a pas de permis de port d’arme.
« L’accusé dit que le coup est parti tout seul, mais des témoins l’ont vu brandir son fusil en direction de la foule”, déclare l’avocat de la jeune fille, “elle est handicapée à vie”. Il demande 37.000 euros pour l’ensemble des préjudices, physique et moraux.
“Vous n’avez pas maîtrisé votre comportement », reprend Laurent Sabatier. Car on aurait été en droit de s’y attendre, Ahmed est un ancien militaire. « Oui, aux fusiliers marins, pendant 6 ans à Brest et à l’île Longue », confirme-t-il. Des faits qui inciteront sa hiérarchie à la mairie de Chiconi à le transférer de son poste de policier municipal vers le service des contentieux lié au foncier.
La substitut du procureur sera plus incisive sur cette question : « Si vous maintenez un tir involontaire, comment vous expliquez votre comportement d’être allé cacher l’arme de suite chez un ami, plutôt que de vous préoccuper de la victime ou de prévenir les secours ? » «J’ai eu peur », répond-il.
Il s’exprime peu, entrevoit les enjeux de son geste pour son avenir- il est marié et a deux enfants-sans évaluer les dégâts chez sa victime, « vous n’avez jamais pris de ses nouvelles en 3 ans, vous ne parlez jamais des conséquences chez elle », lui reproche toujours le parquet. Car Moinaecha vit dans l’après-23 mars, « je fais beaucoup de cauchemars », glisse-t-elle.
Contexte de barrages
Dans sa réquisition, la substitut du procureur insiste sur l’absence de la graduation de la réponse, qui est un des éléments de la formation des militaires, et une mauvaise appréciation de la situation. Elle n’arrivera qu’à impliquer partiellement sa responsabilité, « vous dites que vous n’avez pas voulu blesser, mais vous avouez avoir voulu tirer. Ce n’est donc pas un tir accidentel. » Et insistera pour « un manque de compassion vis à vis de la victime. »
Me Andjilani plaidait le contexte, « un procureur qui venait d’annoncer une augmentation de 80% de la délinquance », « les multiples barrages de jeunes ». Un contexte qui a peu évolué puisque des adultes continuent actuellement à laisser les jeunes exprimer leur colère sous ce biais, à leur place. « Des femmes ont déjà été condamnées pour cela. » Hormis cet argument, il n’a fait qu’atténuer les faits en parlant d’erreurs, et demander une non-inscription du délit au casier judiciaire.
« Je demande pardon, je n’avais pas l’intention de faire de mal », murmurait Ahmed à la barre.
Le délibéré sera rendu la 7 juin.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
* Prénoms d’emprunt
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