Les élèves du Lycée d’Enseignement Appliqué L’Espérance avaient planché sur une quarantaine de questions-réponses portant sur les appréciations par les deux religions de différents thèmes : le paradis, le djihad, la femme, les relations sexuelles…
Comme l’introduisait Antoine Duhaut, directeur d’Apprentis d’Auteuil à Mayotte, la présence des cadis, du prêtre catholique et du pasteur protestant, dépasse le cadre d’un simple échange dans la conjoncture actuelle : « Merci d’avoir répondu à l’invitation. Vous démontrez par ces temps troublés qu’un dialogue est nécessaire pour mieux s’entendre, et que nous sommes tous frères dans l’humanité. C’est un signe de fraternité, de dialogue et de laïcité, pas dans sa vision réductrice, mais dans une veille des libertés de pensée, pour que chacun, dans la République, puisse vivre ou non dans sa religion. »
L’instigateur de ce rassemblement est Mmadi Youssouf, Responsable de la vie scolaire au LEA, qui invitait en préambule, à la prière, « La paix et la bénédiction de Dieu soient sur vous », lisant un passage du Coran, alors que pour le père Bienvenu, ce sera la Bible, en l’occurrence le Livre de la Genèse.
Le père Bienvenu (catholique) se réjouissait de cette initiative, qu’il avait tenté de proposer dans le passé « autour d’Abraham, notre père dans la foi* » : « L’homme est d’abord un homme avant d’être juif, musulman ou chrétien, c’est pourquoi nous voulons porter l’échange fraternel dans le cadre de l‘interreligion. Et dans un esprit d’estime de la foi des autres, de tolérance. »
Un modérateur en vertu des valeurs de la République
Il n’y a pas vraiment eu de dialogue interreligieux, puisque leurs représentants répondaient, avec assiduité, aux questions des lycéens. Mais à travers leurs réponses, on devinait une tolérance mutuelle et un grand respect de la parole de chacun. Nous reviendrons dans un second article sur les différents thèmes abordés. Nous avons choisi ici de traiter d’un autre aspect des échanges.
Car du terrain de l’inter-religieux, le débat se déplaçait vers la compatibilité entre l’islam et les valeurs de la République. Le cursus proposé par le Centre universitaire n’était pas vain, et doit être poursuivi et amplifié.
C’est Antoine Duhaut qui s’est érigé en modérateur, « ce n’était pas prévu, mais il fallait aussi rappeler les valeurs de liberté et d’égalité que nous défendons aussi à Apprentis d’Auteuil. La prochaine fois, il faudra convier le président du Tribunal pour ce rôle. »
Plusieurs interventions l’ont nécessité. « Pourquoi les femmes musulmanes sont habillées avec des vêtements longs ? », interrogeait une jeune fille. « La femme est un diamant, l’islam veut la protéger, pour que les garçons aient envie de la découvrir, sans la draguer, sans la siffler, sans lui faire du mal », répondait le cadi de Bandraboua, Lihaji Yahaya. Montrer son corps, c’est même « une provocation » pour le cadi de Pamandzi Saïd Houssein Saïd Youssouf.
D’autres lunettes pour une autre vision
Une conception qui n’est pas celle de la République française en général, et d’Antoine Duhaut en particulier : « S’il est beau, un diamant doit être montré », relevait-il, « il en va de l’égalité entre l’homme et la femme. Et la République en contre partie, ne juge pas de la façon dont on est habillé, en dehors du port du voile dans certains lieux. » Mmadi Youssouf résumait: “Il faut savoir avant tout se respecter soi-même”.
Est aussi en cause les différentes lecture du Livre, certains comme le cadi de Pamandzi restant dans une lecture littérale du texte, quand d’autres comme Saïd Kambi, DGS de Sada, utilisent ce que Mmadi Youssouf appelle « des loupes modernes et non pas du 7ème siècle »
La polygamie est sans doute l’élément le plus déterminant, et qui prendra beaucoup de temps avant que le droit commun s’installe à Mayotte. La parole transmise par les religieux sera déterminante. Or, elle est encore proche des traditions, « n’est-il pas préférable d’être mariée sous le régime de la polygamie, plutôt que d’être montrée du doigt comme une femme publique ?! », (comme une femme facile) interpellait le cadi de Pamandzi. La monogamie de la République française était montrée du doigt, « vous n’avez qu’une femme, mais l’adultère sévit. »
Polygamie : dans la Bible aussi
La polygamie est aussi inscrite dans la Bible, puisqu’elle était d’actualité dans l’Ancien Testament, rappelait le père Bienvenu, « mais la venue du Christ a tout changé, en instaurant le caractère sacré du mariage. C’est un don total entre un homme et une femme, et l’union ne fait qu’une seule chair.
Mmadi Youssouf renchérissait, « je n’ai qu’une femme, et ça me suffit ! Attention, il ne faut pas que les élèves se perdent. »
Une matinée qui porte donc ses fruits à la fois dans ce premier échange fort entre les deux religions monothéiste, mais aussi dans la réalité de la religion musulmane quand elle est confrontée à nos valeurs républicaines. Considérée comme la fille aînée de l’Eglise, la France a connu par le passé des problèmes d’adaptation de la part des Chrétiens lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Et la polémique de la présence des crèches dans les mairies est là pour nous le rappeler.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Abraham, père des croyants pour les religions juive, chrétienne et musulmane, est appelé Ibrahim dans le Coran
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