Face aux évolutions de différents types d’union et de procréation, le législateur n’a pas suivi. A la demande du dynamique Pôle culture du CUFR, le professeur Hugues Fulchiron proposait une conférence au Centre Universitaire ce vendredi, portant sur « Les évolutions du droit de la famille : qu’est-ce qui fait juridiquement famille aujourd’hui ? » Il interviendra cette semaine au DU sur les Valeurs de la République et les religions.
Peu de monde, à peine 8 personnes, pour écouter cet enseignant* agrégé des Facultés de droit, président honoraire de l’Université Jean Moulin Lyon 3 et vice-président de l’International society of family law, professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3 où il dirige le Centre de droit de la famille. Il est spécialiste de droit de la famille, de droit international privé et de droits fondamentaux.
« On parle désormais de ‘cellule familiale’ et non plus de ‘famille’ », relevait-il en préambule, avant de détailler ce qui a déconstruit les liens parentaux au sein de la famille. Celle-ci est basée sur deux piliers : la parenté et l’alliance entre deux personnes. « Or, les liens de l’alliance ont été dilués par le recul du mariage, et la concurrence d’autres modèles, comme le PACS, où le partenariat ne crée pas de lien de famille, uniquement de couple ».
S’unir ou être parent ? That is the question !
Ce n’est plus la parenté qui est mise en avant, mais « les droits et les libertés de l’individu notamment à travers le mariage pour tous ». Mais quand même, être parent, c’est important ! On y greffe donc de la parenté, en proposant l’adoption aux couples de même sexe. « Nous sommes donc dans un entre-deux, en rajoutant au lien entre deux individus, la dimension familiale. »
Le parent n’est plus uniquement le père ou la mère biologique, mais aussi celui qui ‘fait office de’, qui le prend en charge. « L’assistance à la procréation amène à envisager la procréation à plusieurs, deux couples de même sexe peuvent s’entendre pour engendrer, et confier l’enfant à un des deux, on peut aussi se retrouver à 5 ou 6 en fonction du nombre de gamètes. Dans ce cas, qui engendre l’enfant juridiquement ? » On assiste apparemment à un nouvelle conception de la parentalité, avec un cadre qui se dégage : celui du projet parental.
C’est en tout cas une des pistes données par le professeur Fulchiron à un législateur qu’il juge « tétanisé », en France. Car face à ces évolutions fondamentales, le droit n’a pas été repensé, « il est plus facile de proposer des nouveaux statuts, que de légiférer pour donner une cohérence », pointe-t-il.
S’engager sur un projet
Or, l’idée que l’on est « parent pour toujours », se heurte à la fragilité actuelle de la parenté. « Il faut que les concernés s’engagent sur un projet qui transcende la réalité biologique », propose-t-il. Après une période de flou, la nécessité d’un engagement qui prévalait dans les familles traditionnelles refait surface, mais cette fois pour protéger l’intérêt des enfants, notamment au sein des familles recomposées. « Il faut un engagement de droit ou de fait, pourquoi pas écrit, mais qui soit source de responsabilité. »
L’arbre généalogique a laissé la place à un réseau d’interconnexions, « c’est l’enfant qui sert de repère à la parenté. »
Faute de clarté, c’est la cour européenne des droits de l’homme qui tranche, « par exemple sur le sujet de la difficulté pour une mère accouchant sous X de conserver son anonymat, alors que les droits de l’enfant l’autorisent à rechercher son origine. »
Droit protecteur, à Mayotte aussi
La difficulté de légiférer ou pas se matérialise dans la possibilité offerte depuis le 1er janvier 2017 aux parents de divorcer par consentement mutuel, sans juge, en passant devant le notaire. Après tout, leur union était librement consentie. Mais une facilité qui ne défend pas assez les enfants lorsqu’ils ont en eus.
A Mayotte, ça se complique un peu plus, « il n’y a pas assez de notaires, mais surtout, un règlement du divorce à l’amiable se fera au détriment des femmes. Elles sont tentées de ne pas exiger de pensions alimentaires sur la pression du mari qui est souvent le seul solvable. Seul le juge peut les défendre », expliquait une responsable de l’UDAF.
D’un autre côté ici, les décisions de justice sont peu ou pas exécutées, « notamment lorsque les pensions ont été ordonnées. »
Les problèmes soulevés par Hugues Fulchiron ne toucheront pas immédiatement une société mahoraise en voie de modernisation. Mais qui devra là encore s’appuyer sur son expérience, issues d’une polygamie encore largement présente, où des enfants sont déjà pris en charge par ceux ou celles qui ne leur ont pas donné biologiquement la vie…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Il est l’auteur avec Philippe Malaurie d’un ouvrage sur La famille (Lextenso, 5ème éd. 2016) et a dirigé ou codirigé plusieurs livres en droit interne et international des personnes et de la famille (cf. Mariage, conjugalité ; parenté, parentalité, Dalloz, 2011, Parenté, filiation, origine : le droit et l’engendrement à plusieurs, éd. Bruylant, 2013, Vers un droit européen de la famille, Dalloz, 2013).
Il a également écrit de nombreux articles sur le droit de la famille, la protection des personnes vulnérables, le droit européen et international de la famille, les familles maghrébines, la nationalité, le droit des étrangers et les droits fondamentaux.
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