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vendredi 22 novembre 2024
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Kwassa: Après les mots d’Emmanuel Macron, l’appel de Fatima Ousseni pour sortir de l’imaginaire colonial

Fatima Ousseni
Fatima Ousseni

Et si une «malheureuse» plaisanterie permettait enfin de changer en profondeur les esprits? C’est le souhait de Fatima Ousseni qui livre au quotidien Libération une tribune* d’une rare intensité.
«Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent». Certes, depuis qu’il a prononcé ce «trait d’humour», Emmanuel Macron a présenté des excuses. Mais pour l’avocate, «une intelligence raisonnée et audacieuse ne se contenterait pas de simples excuses lénifiantes qui apaisent à peine et n’effacent pas l’humiliation de toutes les personnes qui se sont senties méprisées.»

Pour elle, cette sortie impose de «dresser un état des lieux sans complaisance» et de lancer «une étude profonde de cette question de l’essentialisation et des représentations d’une partie de la population pour mieux aborder le bien vivre ensemble.»

Fatima Ousseni dresse un parallèle avec les insultes dont a fait l’objet la ministre de la Justice Christiane Taubira en 2013 en sa qualité de femme noire. «Celles-ci avaient alors conduit à considérer qu’il s’agissait là d’une simple expression d’un racisme, dont le parti politique auquel appartenait l’auteur des propos était alors jugé familier. En réalité, l’analyse était trop réductrice. Cela dénotait d’un phénomène bien plus profond et complexe. Le propos étant tenu aujourd’hui par un homme brillant, chef d’Etat qui a une pensée construite sur la question, abordée pendant sa campagne avec clairvoyance, il devient indispensable de comprendre ces postures en ouvrant le débat», analyse-t-elle.

L’héritage de l’imaginaire colonial

Pour elle, «la guenon d’une part, les produits d’une pêche pour qualifier une population entière, les Comoriens, ramènent une partie de l’humanité, les Noirs, au rang d’animal». Et ces mots ne peuvent être banalisés. Elle relève que «les esprits continuent d’être marqués de façon latente après les siècles d’esclavage durant lesquels les Noirs étaient considérés tels un bien meuble, mais aussi après la colonisation et sa négation résolue de leurs civilisations et cultures.»

Libération tribune«Les poncifs habituels qui affublent généreusement le Noir d’une émotion exacerbée, un sens inné du rythme qu’il aurait dans le sang, ne brillerait que par des performances physiques limitées au sport, au sexe, serait une sorte de grand enfant, appartiennent au même registre qui le dépeint tel un être primaire dénué d’intelligence. C’est cet imaginaire colonial qui s’exprime aujourd’hui encore, chargé des stigmates de l’Afrique miséreuse telle qu’elle est trop souvent présentée dans les médias.»

La caricature et la méconnaissance

«La persistance de cette conception caricaturale constitue une réalité qui demeure inconsciemment prégnante dans la société. Elle est à l’origine des préjugés et entretient l’aliénation, les malentendus. Depuis très longtemps, nombre de scientifiques et notamment d’historiens expliquent cet état de fait par une carence sévère et symptomatique de connaissance de l’histoire de l’Afrique et tous ses descendants.»

L’avocate note aussi la «méconnaissance quasi totale des civilisations et cultures nègres en France, mais aussi un mépris entretenu. Cet enseignement n’est nulle part pris en charge dans les écoles». Et pourtant, l’histoire de l’Humanité commence en Afrique. «Les scientifiques martèlent l’impérieuse nécessité d’enseigner cette histoire. Cette démarche est indispensable à la reconstruction des descendants de peuples déstructurés par l’esclavage et la colonisation», estime-t-elle. «Elle est aussi nécessaire au reste de l’humanité qui vit aux côtés des Noirs pour les investir dans d’autres postures que celles de fils d’anciens esclaves ou colonisés, d’un peuple, vaincu, rabaissé au rang d’animal.»

L’absence de narration de l’histoire des Noirs

Christiane Taubira à Mayotte en octobre 2014
Christiane Taubira à Mayotte en octobre 2014. La loi de 2001 qui porte son nom reconnaît la traîte et l’esclavage comme crime contre l’humanité

Fatima Ousseni constate enfin que si Christiane Taubira, par une loi adoptée à l’unanimité au Parlement, «a obtenu que l’histoire de l’esclavage, qualifié de crime contre l’humanité, soit incluse dans les manuels d’histoire», dans les faits, ce texte n’est pas respecté et il demeure insuffisant.

«Cette absence de narration et connaissance de l’histoire des Noirs, par l’ensemble des individus en France, est aussi à l’origine des graves crises identitaires conduisant aujourd’hui à des replis communautaires de plus en plus sévères. Cette situation est ainsi préjudiciable à l’égard de tous. Le travail de déconstruction par la science des stéréotypes dévalorisants, dans le respect de la diversité, se doit d’être entrepris avec force et détermination.»

Loin d’une simple boutade, les paroles d’Emmanuel Macron sur les Comoriens montrent combien les esprits, même les plus brillants, sont encore marqués par un imaginaire colonial. En sortir est un défi «de taille», admet Fatima Ousseni. Pour le relever, elle en appelle sans détour à l’«intelligence raisonnée et audacieuse» du président de la République. Car en effet, une véritable réponse s’impose, enfin.

RR
www.jdm2021.alter6.com

*La tribune complète est à retrouver sur le site de Libération.

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