L’histoire du délai d’obtention des badges aura aggravé la situation entre les avocats et les chefs de juridiction que sont le président du TGI et le procureur de la République, bien plus que les badges eux-mêmes. L’interruption des Assises a fait monter la moutarde au nez des derniers, dont les propos ont à leur tour fortement déplu aux avocats du barreau, « leur communiqué évoque un mouvement de grève préjudiciable au bon fonctionnement de la justice au profit de la population, comme si nous ne nous préoccupions pas d’elle », critique une avocate.
Quitte à parler de dysfonctionnement de la justice, ils dégainent tout un tas de jugements en attente, mentionnés dans leur dernier communiqué. « Après qu’un délibéré est rendu, le greffier doit ensuite le taper, et le président le signer, pour que nous puissions être rémunérés, et surtout, que les victimes que nous représentons, puissent faire valoir leurs droits. Or, ce délai entre l’audience et la remise du jugement écrit peut atteindre deux à trois ans ! », expliquent plusieurs avocates, documents en main.
Trop de retards tue l’Aide juridictionnelle
Ce qui pose des problèmes en Chambre d’Appel, « parfois, nous n’avons pas le jugement notifié pour pouvoir argumenter. » Ils évoquent un manque de personnel au greffe, et une seule employée au Bureau d’Aide juridictionnelle, « leur greffière doit valider les 250 euros que je dois toucher pour une affaire sur laquelle j’ai commencé à travailler en 2014 ! », indique une avocate. Qui précise que si des délais sont aussi constatés en métropole, ils se chiffrent en mois, et non en année.
Chaque avocat aurait à gérer une dizaine voire une vingtaine de retards de dossiers de ce type, « particulièrement sur les dossiers avec Aide juridictionnelle. » On connaît les difficultés qu’ont eues les avocats de Mayotte par le passé pour être payés sur ces dossiers, plus encore qu’ailleurs en France, et si le système s’est amélioré, il est encore perfectible, « pour que les avocats acceptent toujours de prendre ce genre d’affaire. »
Pas de tribune politique à la barre
Ils réclament toujours un local adéquat pour les entretiens confidentiels avec leurs clients, « on nous interdit d’amener des détenus menottés dans l’actuel. Dans d’autres juridictions, il y a des box prévus pour ça », et la réfection du couloir qui y mène.
Ce mercredi matin, une affaire aurait été retenue, alors que l’avocate gréviste qui devait y intervenir, Fatima Ousseni, en avait demandé le renvoi. Ce qui a agacé ses collègues. Ils sont donc une dizaine à faire intrusion dans la salle d’audience. Dans un demi-silence au départ, permettant le bouclage du jugement d’une affaire de violences autour d’un barrage, puis s’avançant à la barre ensuite, pour interpeller les magistrats. Le président Sabatier faisait savoir qu’une salle de tribunal n’était pas « un lieu d’expression politique », et faisait suspendre l’audience, provoquant la réaction des avocats, « c’est une atteinte au droit de grève ! », à laquelle il répondait, « notre porte est ouverte pour vous entendre à l’extérieur ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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