La prise de parole lors de sa soirée de départ d’un de ses principaux contradicteurs à son arrivée, Djamaldine, responsable de magasin chez EDM, lève une partie du voile : « Au delà du Directeur général et de son côté humain, social et solidaire, je veux vous parler de l’homme, c’est Yacine, alias ‘Yass’, qui a toujours le sourire, reste toujours positif. C’est aussi un super bon milieu de terrain au foot, c’est devenu un ami. »
Nous avons donc cherché à percer le secret du lauréat du prix du manager de l’année, une réussite autant humaine que financière, la première engendrant l’autre, et ça, c’est un de ses premiers ressorts.
Né dans la banlieue d’Alger en octobre 1975, d’un père peintre en bâtiment et d’une mère au foyer, c’est à l’âge de 9 mois que Yacine Chouabia arrive à Paris.
Le JDM : EDM, est-ce votre premier poste de direction ? Après quel parcours ?
Yacine Chouabia : Oui. Pendant mes études d’ingénieur au CESI, j’ai fait un stage révélateur au Pays de Galles. Je m’étonnais que tous les cadres terminent à 17h. Ils m’ont expliqué que celui qui reste tard n’a pas la cote, ‘il n’a pas su faire son travail dans le temps imparti’. Depuis, j’ai cherché à travailler ailleurs qu’en France métropolitaine. Puis, je me suis rendu compte que je me réaliserai dans le management. Je construis alors mon parcours autour de ces deux axes. Pour être au top, je reprends mes études à 38 ans pour passer un double MBA à l’université de Columbia aux Etats-Unis et à la London Business School, que je termine au premier trimestre 2014. Pour prendre la direction de EDM Mayotte, l’aboutissement de mon 1er projet professionnel ! Le 2ème sera d’être en charge d’une importante filiale d’EDF. Pour l’instant, je pars sur le poste de directeur de développement pour EDF où je vais superviser toute la zone Asie du Pakistan au Japon, en dehors de la Chine.
Les coupures et les mouvements sociaux avaient obscurci l’image de EDM. Lors de votre soirée de départ, vous avez évoqué votre « bizutage », avec « 3 blackouts en 3 semaines et ma tête mise à prix sur le plateau de Mayotte 1ère » ! Comment avez-vous redoré l’image de l’entreprise ?
Yacine Chouabia : Replaçons dans le contexte. Nous avons développé un plan d’investissement très ambitieux, conduit par mon prédécesseur, de 130 millions d’euros en 4 ans, déclinés en nouvelle centrale, dans la 1ère ligne 90.000 volts, dans des postes source et dans un nouveau siège. Je suis arrivé ensuite pour travailler sur l’amélioration de la qualité de la fourniture en énergie et en me préoccupant de ceux qui allaient faire tourner les investissements.
Pour poursuivre le parallèle avec ma carrière, je me suis aperçu que beaucoup de salariés voulaient évoluer, mais étaient frustrés. Je leur ai demandé de se donner un objectif et de construire leur parcours pour se donner toutes les chances d’y arriver. Ça permet à chacun de faire le point sur ses capacités.
Quelle a été votre méthode ? Salim Nahouda citait EDM en exemple. Y a-t-il une recette miracle qui permet d’éviter les conflits sociaux ?!
Yacine Chouabia : Sûrement pas, mais je peux livrer quelques conseils. Personnellement, je ne commence pas à travailler le matin sans avoir serré les mains de tous mes collaborateurs, pour faire connaissance avec celles et ceux qui font l’entreprise. Je me suis entretenu dès mon arrivée, avec tous les managers. Pour parvenir à rencontrer les 230 salariés d’EDM, je prenais tous les vendredis matins, des petits déjeuners avec eux par équipe de 8. Au début, certains étaient méfiants et n’ont pas baissé la garde de suite, mais les autres ont joué le jeu.
Ensuite, j’ai adhéré au CJD, le Centre des Jeunes Dirigeants, une association d’entrepreneurs mahorais qui m’a aidé à mieux comprendre la société mahoraise.
Une méthode transposable ?
Yacine Chouabia : Je n’ai pas la prétention de donner des conseils. Je l’ai fait de cette manière parce que j’aime ça. Ma porte est toujours ouverte. Par contre, je pense que les recrutements de dirigeants à Mayotte devraient tenir compte de ce profil. D’ailleurs, avant, je recrutais en fonction de la compétence. Maintenant, je l’allie au critère humain. Car l’écoute active de ses collaborateurs n’est pas une perte de temps, ni d’investissement, au contraire.
Vous avancez de bons résultats. Dans quels domaines ?
Yacine Chouabia : Nous n’avons pas eu de blackout depuis 2 ans, et la durée moyenne de coupures a été réduite par 3 en 3 ans. Le taux de satisfaction des clients s’en ressent en passant à 92%. Le coefficient de disponibilité de nos centrales, c’est à dire leur activité réelle hors heures de maintenance ou pannes, est de 91%, c’est inédit ! Des résultats obtenus grâce aux hommes et aux femmes de l’entreprise, et à la bonne ambiance qui y règne.
Et nous avons explosé le nombre de gigawatt-heures économisés, de 3 par an en 2014 nous sommes passés à 12,5 en 2016, alors que la consommation continuait à augmenter. Un effort auquel est sensible l’Etat, étant donné que nous dépendons à 70% de la solidarité nationale pour couvrir le coût de production. Nos offres sur le remplacement des climatiseurs notamment, a porté ses fruits lors d’un premier trimestre 2016 particulièrement chaud où la consommation d’électricité avait augmenté de 9% !
On se souvient de votre invitation à couvrir la gestion de crise un soir de black out, un geste de transparence peu fréquent. Les coupures généralisées, c’est du passé ? Où en sont les investissements ?
Yacine Chouabia : Face à une hausse de la consommation de 4% en 2016, et de prés de 6% en 2015, la 3ème centrale est indispensable, et devra être opérationnelle à l’horizon 2023. Nous pouvons tenir jusque là sans coupure parce que nous avons su anticiper avec Longoni II. La Déclaration d’utilité publique pour la 2ème ligne Haute-tension Longoni-Sada a été obtenue, reste le foncier, pour lequel une décision d’expropration est envisagée.
En matière de photovoltaïque, ce n’est pas terrible…
Yacine Chouabia : Cette production représente 5% du volume total en effet. Lors de son lancement, les tarifs de rachat par EDM de l’électricité photovoltaïque étaient supérieurs aux tarifs de vente. Créant une bulle spéculative, dégonflée par l’arrêt de la défiscalisation. Ils vont repartir à la hausse, ce qui devrait relancer le secteur.
Oui, mais le financement des capacités de stockage de l’électricité photovoltaïque en cas de couverture nuageuse notamment, sont toujours freinés par l’absence de décisions de la Commission de Régulation de l’Energie… Bloquant le projet Opéra*.
Yacine Chouabia : La CRE détient les cordons de la bourse. Justement, elle a publié une délibération sur le stockage fin mars 2017, Opera va donc pouvoir être relancé. Nous portons aussi avec le vice-rectorat et Corexsolar le projet « Energies contrôlées » qui va voir fleurir des panneaux photovoltaïques sur les toitures des collèges et lycées, avec des batteries couplées, le tout pour une puissance de 11 mégawatt, l’équivalent d’un moteur de Longoni. Tous les panneaux seront pilotés depuis le siège de EDM créant ainsi la 1ère centrale virtuelle solaire à l’horizon 2020-2021. On peut donc espérer un bond des énergies renouvelables, surtout qu’une centrale biomasse doit toujours voir le jour en Vallée 3, portée par Albioma.
En conclusion, devinez… Yacine Chouabia remercie en premier lieu ses collaborateurs, mais aussi les services de l’Etat, les élus, ses partenaires économiques et industriels, et les médias, « avec lesquels j’ai toujours eu des relations de transparence et de franchise ».
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Opéra, pour « Opération pilote énergies renouvelables ». Il consiste en une sorte de pile gigantesque qui se recharge à l’énergie solaire et qui permettrait au réseau électrique mahorais de passer le fameux cap de 30% d’alimentation aux énergies renouvelables
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