Devant un public attentif et plein de curiosité, Condra Mlaili, linguiste et sémioticien, s’est penché sur la question de complexe de la place occupée par la femme mahoraise moderne. Ainsi, durant plus d’une heure, il a animé avec intérêt une conférence intitulée «Le nyambawani des femmes mahoraises: une parole féminine assignée à l’écriture».
Relations conjugales, parentales, amicales et plus généralement sociales, le linguiste a fourni une analyse particulièrement fine des moyens par lesquels la femme mahoraise tente de s’imposer, tant dans l’espace public que privé, grâce à la culture.
Dés l’entame des débats, Condra Mlaili a évoqué une caractéristique contestée mais clairement apparente de la société mahoraise : l’héritage culturel, notamment en provenance des Comores, rend la société mahoraise très centralisée sur la place de l’homme.
«Être femme dans la cité des hommes»
La femme se voit ainsi « traditionnellement reléguée aux fonctions en lien avec la sphère privée et la gestion du foyer ». Cette coutume très ancrée dans les mœurs n’est pourtant pas forcément du goût des femmes mahoraises modernes qui prennent de plus en plus part à la vie sociale du couple, à mesure qu’elles contribuent de manière croissante à subvenir aux besoins (financiers, matériels, alimentaires…) du ménage.
Le poids de la femme sur la place publique et le paysage politique devient donc un enjeu de la société du 21ème siècle. Les femmes mahoraises ne se cantonnent plus à la « discrétion qui leur est traditionnellement recommandée » et s’inscrivent dans une logique plus participative. Elles, qui sont désormais parties-prenantes du développement de l’île, cherchent à se faire entendre.
Mais face aux réticences des hommes souvent jugées «d’un ancien temps», il leur faut trouver des «stratagèmes ingénieux et presque invisibles pour s’imposer par la voie douce». Elles prennent alors le poids des traditions à rebrousse-poil pour « s’approprier des espaces propres à leur rassemblement et mise en avant ».
Une émancipation par la culture
M’biwi, Manzaraka… de nombreuses manifestations traditionnelles sont utilisées par les femmes pour s’extraire de la pression sociale masculine. Condra Mlaili voit en l’art du M’biwi « une façon d’exprimer le point de vue des femmes à propos des notions sociétales ». En effet, ces manifestations seraient un moyen d’accéder à une certaine parole publique puisqu’elles se font ouvertement et que les chants repris par les femmes abordent des questions de société.
«Lors des M’biwi, les femmes chantent leurs sentiments . Elles chantent parfois en improvisation et n’hésitent pas à dénoncer ce qu’elles considèrent comme néfaste, surtout dans la vie de couple et la vie de famille », explique le linguiste.
Le Manzaraka, démonstration de réussite
Mais la grande «appropriation» des mœurs culturelles par les femmes est celle de la célébration du mariage : le fameux Manzaraka.
Aujourd’hui, il est communément admis que la plupart des femmes d’origine mahoraise se complaisent à prendre part à ce rituel. Devenu une véritable «place d’expression et de démonstration de sa réussite personnelle», le Manzaraka est fréquemment décrié pour son lot de gaspillage et l’étalement de richesse.
Pour le linguiste, le succès de cette institution culturelle réside surtout dans ce qu’elle apporte aux femmes : une possibilité de se créer un espace qui leur est réservé. «Au départ, le Manzaraka était principalement constitué de pratiques célébrant l’homme marié et sa famille. Mais au fil des années, les femmes mahoraises se sont appropriées cet événement», explique-t-il.
«Il n’y avait pas de chapiteau décoré réservé aux femmes pour qu’elles puissent manger et s’avancer à tour de rôle vers la mariée afin de la féliciter et lui donner de l’argent. En moins de 10 ans, les femmes ont fait du Manzaraka un espace féminin où le clou du spectacle est le repas entre femme en l’honneur de la mariée. Ce clou du spectacle a lieu sous le chapiteau entièrement réservé aux femmes. C’est une manière de dire qu’elles n’ont pas ou plus besoin du regard des hommes pour gérer leurs affaires».
Célébrer la culture dans son ensemble
Atelier de dessin traditionnel, couture, Shigoma et produits artisanaux en tout genre… Ce samedi, le MuMa n’a pas seulement célébré la femme mahoraise. Le musée a profité de l’occasion pour mettre en lumière divers pans de la riche culture mahoraise. Des enfants se sont ainsi fait maquiller à la manière des mariées, un atelier de Msindzano a occupé une dizaine de personne avant une initiation au Shigoma à la fin de la conférence de Condra Mlaili.
À travers la femme et son poids en société, le MuMa a donc célébré l’ensemble de la culture mahoraise, au grand bonheur des personnes présentes.
Ludivine Ali
www.jdm2021.alter6.com
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