L’adolescent était bien mal en point lorsque les gendarmes l’ont amené voir un médecin après un signalement de maltraitance. Plus de 30 bleus sur le corps, une plaie à la tête, des plaies de 6 à 8 cm de long sur un centimètre de large. Battu à coup de pieds, de barre de fer ou encore fouetté avec un fil de fer. Âgé de 13 ans à peine lorsque l’affaire éclate en 2016, le jeune garçon est familier de ces mauvais traitements. Depuis tout jeune son père le bat pour le punir.
Les blessures citées plus haut, le père les explique par sa “colère”. Ce jour-là, il avait du aller chercher son fils au collège, renvoyé trois jours pour absentéisme. Si les violences sont habituelles à la maison, celles-ci sortent de l’ordinaire. “Je le frappe pour qu’il comprenne qu’il ne doit pas faire de bêtises” justifie le papa lors de son audition devant les gendarmes. Interrogé sur la trentaine de traces de coups que porte l’enfant, le mis en cause affirme qu’ils sont le fait de bagarres à l’extérieur.
Présenté à la barre, le président Banizette s’interroge sur l’efficacité de ce” traitement”. “Il fait encore des bêtises” murmure le prévenu. Et pour cause, depuis des mois, l’ados ne rentre presque plus à la maison. Il vit dans la rue, et sur un chantier, de petits travaux et de petits délits, qui lui valent, là encore, de violentes corrections des habitants. L’association M’Lézi Maore, qui représente les intérêts du jeune homme, l’a trouvé la semaine dernière “dans un état d’hygiène déplorable, en pleine errance”.
Placé devant cette contradiction, la brèche était ouverte pour une séance de pédagogie. Le président s’y est engouffré.
“Donc, la correction n’a servi à rien, est-ce que ça vaut le coup de frapper votre fils jusqu’au sang si ça ne sert à rien ? Est-ce que ça ne lui donne pas plutôt le mauvais exemple, d’user de violence ?”
“Rien ne justifie ça de la part d’un papa”
Pour le magistrat, ni la culture, ni la pédagogie ne justifie ces faits-là. “Le droit de correction est légal en France. On n’a jamais poursuivi quelqu’un devant ce tribunal pour une fessée, mais ça, (il montre les photos en noir et blanc de l’enfant prises par les gendarmes) ce n’est pas normal ! Quand on est parents, on fait comme on peut, mais frapper à ce point là un enfant, c’est le mettre en danger, rien ne justifie ça de la part d’un papa. C’est contraire à la loi.”
Revenant sur la question culturelle, il poursuit : “J’ai des amis mahorais et comoriens, aucun n’est alcoolisé quand il a ses enfants, ni ne les laisse traîner dans la rue.”
S’adressant à la victime, aujourd’hui âgée de 15 ans, le juge poursuit, toujours aussi pédagogue. “Ce que votre papa a fait, c’est aussi parce qu’il a peur pour son fils, si vous continuez les bêtises, ça peut aussi vous amener à la barre du tribunal”.
Puis de nouveau au papa, “Vous réalisez que votre fils est en train de devenir un délinquant, et que vous ne vous en occupez pas ? Quand un enfant cause des dommages, c’est aux parents de payer, il va falloir arrêter de le laisser traîner dans la rue.”
“La loi est la même, et les Mahorais ont choisi la loi française”
L’avocat du garçon, Me Ibrahim, dénonce un papa qui “ne protège pas” son fils.
“Les enfants prennent exemple sur leurs parents, s’ils sont violents, ils feront la même chose dehors. Il trouve normal que son fils rentre avec des traces de coups, et il en rajoute, avec une barre de fer ! Les deux parents se rejettent l’enfant, comme un chiffon. C’est normal qu’il ne respecte pas les règles, il n’a jamais été cadré. Le phénomène de bande, c’est parce qu’on se sent mieux avec ces gens-là”.
L’association réclame pour l’enfant 6000€ pour le préjudice corporel, et 6000 pour le préjudice moral.
Le procureur Rieu de son côté appuie l’argumentaire du président.
“La culture varie entre la métropole et Mayotte, mais la loi est la même, et les Mahorais ont choisi, démocratiquement, la loi française. Le droit de correction doit être proportionné. Monsieur est poursuivi pour des violences graves, plus de 33 bleus ! Je salue les efforts de pédagogie du tribunal. Chacun a tenté d’expliquer qu’on ne construit pas une éducation avec de la violence, avec de la peur. La violence engendre la violence. Le résultat c’est un enfant qui se déstructure, entre en errance. Si ça continue comme ça, le destin de cet enfant, c’est la violence, la prison et la mort. La sienne, ou celle d’un autre.”
A son tour, le procureur se tourne vers l’adolescent. “Mais il n’est pas trop tard. La justice et les services sociaux peuvent aider les victimes, ce n’est pas votre destin de devenir un criminel. La loi doit s’appliquer, ces violences sont illégales et injustifiées.”
Contre le papa, il réclame 12 mois de prison, dont la moitié assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve.
Une réquisition suivie par le tribunal qui accorde 5000€ de dommages et intérêts au lieu des 12 000 demandés. 3000 pour le préjudice corporel, et 2000 pour le préjudice moral.
Yohann Deleu
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