Les langues régionales sont, depuis une quinzaine d’années, reconnues en France comme partie prenante du patrimoine national. A Mayotte, Shimaoré et Kibushi jouissent d’un ancrage fort. Pourtant, des décennies de dénigrement des langues maternelles amènent de nombreux jeunes à en faire un complexe, au bénéfice du français.
Aujourd’hui, universitaires et administration scolaire souhaitent renverser la vapeur en rendant aux langues régionales de Mayotte leurs lettres de noblesse.
Ce vendredi, une conférence de la maître de conférence Miki Mori présentait une enquête qu’elle a mené auprès d’étudiants du CUFR sur leur vision des langues parlées à Mayotte. Au fil de cette enquête scientifique, “c’est la question de l’avenir des langues maternelles à Mayotte qui est posée” appuie Jean-Louis Rose, responsable du pôle culture eu CUFR.
“Oser le plurilinguisme”
De cette enquête, il ressort en premier lieu une unanimité sur l’utilité de la langue française. Tous les étudiants interrogés jugeant qu’elle doit être enseignée et pratiquée, à l’oral comme à l’écrit. Utile pour les études et pour le travail, utile à l’international, et bénéficiant d’une image prestigieuse en raison de sa richesse grammaticale et lexicale. Ce, malgré sa complexité.
A l’inverse, les langues dites maternelles font l’objet d’avis plus contrastés. “Le bilinguisme doit être une force pour nous” estime un étudiant soutenu par un autre qui relève qu’elles “appartiennent à l’identité et au patrimoine, et qu’elles doivent être enseignées et écrites”. Quant un autre s’exclame dans la salle “Avoir parlé le shimaoré à l’école est à l’origine de nos lacunes d’aujourd’hui”.
L’objectif de cette conférence était justement de démontrer le contraire.
Pour l’inspectrice de l’éducation nationale Sitinat Bamana, participant à cette rencontre au CUFR, cette idée reçue ” résume toute l’histoire de Mayotte. Pour maîtriser le français, on nous a écartés de nos langues maternelles”. Elle ajoute que plusieurs expérimentations de plurilinguisme sont menées à Mayotte dès la maternelle.
“Le plurilinguisme aide à apprendre les langues” soutient Jean-Jacques Salone, enseignant au CUFR. “Il ne faut pas tolérer que les enfants parlent shimaoré ou kibushi à l’école. Il faut exiger qu’ils le pratiquent. C’est par le plurilinguisme qu’on va aider à comprendre les concepts”.
“Oser le plurilinguisme” fait d’ailleurs partie des objectifs pédagogiques fixés par le Vice-Rectorat. D’ailleurs, le kibushi venant de Madagascar, et le Shimaoré étant de la famille des langues Bantou, ces deux langues sont parfaitement utiles en termes de commerce et de relations internationales. Les dénigrer à ce titre est une erreur, s’accordent en substance, à dire les intervenants.
“On passe de l’interdiction à la reconnaissance”, se réjouit Jean-Louis Rose, qui se souvient que “en 2000, les règlements intérieurs de collège interdisaient encore de parler le shimaoré”.
Quelle écriture pour Mayotte ?
Symbolisant le succès du plurilinguisme, un étudiant du CUFR, Joseph Mpondo Sadey a grandi au Cameroun. “Au Cameroun, nous avons 260 langues. Au collège j’en étudiais trois, qui ne sont pas cousines. Avec l’alphabet phonétique c’est possible.”
C’est d’ailleurs ce qui se pratique à Mayotte avec l’alphabet arabe, grand oublié de l’étude de Miki Mori, alors qu’il est la première langue écrite enseignée aux petits Mahorais grâce à l’école coranique. ” J’ai toujours vu ma maman recevoir des correspondances écrites en shimaroé avec l’alphabet arabe, donc il existe bien un shimaoré écrit arabe. Depuis que le français est arrivé, on a tendance à l’oublier” insiste un autre enseignant dans la salle.
Pour lui, il n’y a pas de préférence à tirer entre ces deux alphabets. L’un issu de l’enseignement religieux, l’autre de la présence française. ” C’est un choix politique”.
Un choix, pas forcément. On aura bien compris que le plurilinguisme facilitant l’apprentissage des langues, français, shimaoré et kibushi peuvent parfaitement cohabiter, de même que les alphabets arabe et latin, chacun représentant un vecteur de communication valorisable.
Reste à s’appuyer sur la présence de ces connaissances à Mayotte pour les mettre en valeur dès l’école primaire, et former les enseignants à les diffuser. Pour qu’enfin Mayotte s’enrichisse officiellement de ses langues, et que ses enfants ne se sentent plus obligés de choisir.
Y.D.
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