JDM : L’Etat après avoir reconnu sa faillite en matière de prise en charge de l’ASE, s’est engagé sur un rattrapage de 42 millions d’euros et de 9,6 millions par an. Quelles actions avez-vous engagées ?
Issa Issa Abdou : « Nous avons reçu 62 millions d’euros, dont 14,8 millions d’euros ont été budgétisés pour 2017, avec un taux d’exécution de 70%, ce qui nous a valu les félicitations du ministère des outre-mer. Nous avons commencé par asseoir un nouvel organigramme de notre service de la Protection de l’enfance, et par se doter d’un directeur. Puis, ce sont 20 assistants sociaux éducatifs qui sont en cours de recrutement, des psychologues, 20 véhicules destinés aux travailleurs sociaux.
A la suite de l’appel à projet de l’Action Educative en Milieu Ouvert, qui permet d’éloigner un enfant de tout danger tout en favorisant son autonomie, l’association retenue pour le porter sera dévoilée cette semaine. Ce sont 400 places destinées aux mineurs isolés, à partir de janvier 2018. Avec les 400 pris en charge dans les familles d’accueil, et le démarrage des autres dispositifs, ce sont plus de 800 mineurs qui seront pris en charge par nos services l’année prochaine.
Nous avons tenté de faire monter en puissance le dispositif « tiers digne de confiance », dont les familles sont désignées par le juge, mais c’est difficile et seulement 6 ont été agréées. Nous leur allouons une enveloppe de 300 euros par mois. »
La prise en charge par les familles d’accueil est toujours sujette à caution, certaines sont accusées d’être débordées, voire laxistes…
Issa Issa Abdou : « Quand notre majorité a été portée au pouvoir, il n’y avait pas d’autre dispositif. Nous n’allions pas les congédier comme ça, j’ai donc décidé de former ces familles sur 60 heures avant tout accueil d’enfant, et sur 240 heures dans un délai de 3 ans après le contrat de travail. Et ces 103 assistants familiaux doivent obtenir un agrément auprès de la Cellule d’Agrément de la DSPMI*.
Ce qui nous amène à un autre dispositif que nous mettons en place, les petites Unités de vie, qui fera l’objet d’un appel à projet en 2018. Il s’agit de petites maisons où sont placés 4 à 5 enfants, une sorte d’alternative aux familles d’accueil et à la Maison d’Enfant à Caractère social, une MECS, sorte de Foyer de l’enfance que nous n’arrivons pas à mettre en place ici ».
Pour quelles raisons ?
Issa Issa Abdou : « Les conditions politiques et techniques pour l’implanter ne sont pas réunies. Les maires sont frileux à l’idée qu’une MECS puisse s’installer dans leur commune. Et pourtant, le foyer Tama est implanté sans problème à Tsoundzou. De toute façon, les petites unités de vie ont l’avantage de proposer une échelle humaine à la prise en charge. »
L’observatoire des mineurs isolés avait estimé leur nombre à 3.000. Avez-vous mis en place votre ambitieux projet de comptage par commune ?
Issa Issa Abdou : « Oui, avec le test d’une prévention spécialisée à Dembéni, confiée à la Croix Rouge et aux Apprentis d’Auteuil. Pour ensuite, lancer un appel à projet plus global en 2018 sur l’ensemble du territoire, et on voit qu’en Petite Terre, cela devient urgent. »
La moitié des jeunes incarcérés à Majicavo sont de nationalité française. Quel travail menez-vous sur l’accompagnement à la parentalité de familles mahoraises qui abdiquent face à leurs enfants et les laissent à la dérive ? Cela pourrait créer un cercle vertueux…
Issa Issa Abdou : « C’est une des missions de l’ASE. Nous allons mettre en place un cahier des charges précis où la parentalité aura toute sa place. Mais la loi indique que le premier travail doit se faire sur la parentalité, et que le placement doit être un dernier recours, or, ici nous inversons quand il s’agit de familles reconduites à la frontière, en raison d’un difficile dialogue avec leur pays. »
Avec les 10.000 naissances par an, dont 74% de mères étrangères, un certain pourcentage d’enfants risquent de se retrouver dans la rue en cas d’expulsion des parents. Comment assurer à coup sûr leur prise en charge ?
Issa Issa Abdou : « C’est le paradoxe. D’un côté l’Etat n’assure pas sa mission régalienne de contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine, et de l’autre, il nous condamne lorsque le nombre d’enfants par famille d’accueil dépasse le quota. On crée les conditions d’une maltraitance à Mayotte. Mais ne rien faire serait la pire des chose. Il faut commencer par un bout, et mettre l’Etat devant ses responsabilités. Nous comptons de toute manière, continuer à former les travailleurs sociaux. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Direction du service de la Protection Maternelle Infantile
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