En écho à la Journée d’étude du CUFR « Développement et activités informelles de Mayotte : Réalité, enjeux et perspectives », nous nous étions demandé si l’économie informelle était une menace pour la société ou une richesse culturelle. La seconde partie de la journée était consacrée à la description de l’envers de notre décor : celui d’un équilibre de société qui va exercer un frein à la normalisation.
Avant d’être un travailleur clandestin, le migrant commence son intégration par le regroupement des personnes issues du même village que lui, aux Comores ou à Madagascar. « La survie d’un individu commence par sa capacité à créer du lien social. Le bidonville, vu comme un espace dégradé, est en réalité protecteur, et va permettre au nouvel arrivant de créer des liens pour trouver un travail au sein de la communauté, puis, par contact avec les réseaux déclarés d’habitants du village », retrace Damien Riccio, doctorant en Science politique et Anthropologie.
Il pourra travailler sur des chantiers, ou au champ, contre lequel il pourra se voir délivrer un petit lopin pour sa production personnelle, ou du bétail. Et ça paie plutôt bien, « un agriculteur sans papier qui fait du maraîchage arrive à des niveaux de rémunération équivalents à un actif mahorais », explique Dominique Didelot, Chef de Service d’Information statistiques et économiques à la DAAF. Même mieux, « un cueilleuse d’ylang sera rémunérée 3 euros de l’heure, c’est à dire trois fois mieux qu’elle ne le serait à Anjouan ». De son côté, l’agriculteur a tout intérêt à rémunérer sa main d’œuvre au rendement plutôt qu’au SMIG mahorais, « avec une différence de 90 euros le litre ».
Une propriété communautaire
La DAAF va proposer une mesure de compensation qui aurait pu sauver l’entreprise de Jean-Paul Guerlain à Combani : « Pour relancer la filière ylang, nous allons subventionner au litre, avec un doublement de l’aide POSEI* pour les distillateurs ». L’ylang, future filière subventionnée comme la banane antillaise ou la canne réunionnaise ? Sous condition de contrôle de l’évolution de la situation administrative des cueilleuses. Or, nous le verrons, l’évolution vers la régularisation ne leur garantit pas l’emploi.
D’autres pratiques vont freiner : c’est le cas de baux oraux à Mayotte. Or, sans titre, point d’accès à une quelconque aide à la modernisation. Là encore, la législation vient télescoper les pratiques ancestrales : « Le Mahorais n’a pas besoin d’enregistrer son terrain au cadastre pour savoir qu’il en est propriétaire, il lui suffit de citer quelques témoins ou des membres de la famille. Nous appelons cela le Magnahuli : le terrain m’appartient, mais cela veut dire que mes sœurs, mes cousines peuvent l’utiliser. Et du moment que j’ai instauré un échange basé sur la musada avec quelqu’un, il peut venir y cueillir des bananes sans me le demander », décrypte Mohamed Abdillah-Ibrahim Boinarziki, Doctorant en sociologie économique à Paris Sorbonne. Une propriété non titrée, basée sur la confiance et la solidarité, le droit français ne connaît pas, « c’est ce qui crée des blocages bancaires. »
Comment faire dans ce cas pour ériger des ouvrages utiles à la communauté, comme, au hasard, une retenue collinaire ?… « Si la proposition d’échange contre d’autres terrains ne marche pas, il faut passer par la communauté villageoise, c’est la collectivité qui décide », explique le chercheur d’origine Mohélienne.
Ecarté parce que déclaré
Pour formaliser l’informel, il faudrait modifier le lien entre employeur et travailleur clandestin. Or, il est de l’ordre gagnant-gagnant, nous rappelle Damien Riccio. Que ce soit sur le plan économique, « main d’œuvre moins chère d’un côté contre rémunération intéressante », sur le plan fonctionnel, « surveillance des cultures agricoles contre lopin de terre », et sur le plan assuranciel, « chacun se protège. Je suis allé sur un chantier. On a su à quel moment la voiture de la PAF prenait la barge, ainsi que son trajet complet, jusqu’aux 10 minutes avant leur arrivée, où toutes les équipes d’ouvriers ont disparu d’un coup dans la nature », rapporte l’anthropologue.
La départementalisation apporte un mieux vivre pour les ayants droits, et une exclusion croissante des étrangers en situation irrégulière de l’action publique, « or, l’économie informelle assure le lien entre les deux ». L’intérêt des employeurs pour la main d’œuvre clandestine va les inciter à « inventer de nouvelles stratégies pour échapper aux contrôles », selon lui. De leur côté, les travailleurs clandestins perdent leurs petits boulots dès lors qu’ils accèdent à un titre de séjour, « car ils sont vus comme ayant potentiellement accès aux droits et aux institutions ».
En conclusion, en compensant les surcouts d’ une main d’œuvre déclarée pour les entreprises qui y sont disposées, l’économie formelle pourra gagner du terrain, mais pas au détriment de l’économie informelle qui va garder ses parts de marché s’adaptant aux changements.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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