L’homme se tient droit. Solennel, debout à côté de l’interprète en shimaoré, il montre un respect infaillible au tribunal devant lequel il est convoqué. Chef d’entreprise à Mayotte, il a été arrêté il y a quelques mois pour avoir fait travailler un salarié sans lui fournir de fiches de paye. Ce mercredi, le patron épinglé a ramené les fiches de paye demandées lors de sa première audience, et un contrat passé avec une entreprise de gestion de paye. De bonne foi, il n’avait juste pas connaissance des règles en matière d’emploi d’un salarié, et s’est mis en conformité. Les juges en ont pris note et l’ont dispensé de peine. Toutefois, le prévenu, qui s’en sort bien, n’est pas le seul à fauter par manque de connaissance et de maîtrise de la langue.
C’est en partie pour prévenir ce genre de déboires que la Plate-forme de lutte contre l’illettrisme a décidé d’agir en sélectionnant des entrepreneurs pour leur enseigner quelques savoirs de base.
“La semaine dernière, on a présenté aux différents acteurs l’outil de repérage, explique Fatima Assani, chargée de projet au sein de la plate-forme. On accompagne ces partenaires que sont la CCI, la CMA, la BGE, Créapépite et la Capeb.”
L’outil consiste en un test en trois parties incluant une fiche de renseignement, un test d’écriture et de lecture permettant de définir le niveau de maîtrise de la langue française de ces candidats. A l’issue de cette sélection, 20 entrepreneurs seront inscrits à la formation, intégralement prise en charge.
“Le plan d’action de la Plate-forme a détecté ce besoin, car il y a un défaut de maîtrise de la langue française. L’idée c’est de les accompagner pour que dans leurs démarches administratives, ils puissent connaître leurs institutions, savoir faire un devis, une facture etc.”
5000 personnes potentiellement concernées
C’est la première fois à Mayotte qu’une telle formation aux savoirs de base est dispensée en étant orientée sur la gestion d’une entreprise.
“Beaucoup de gens ont des Doukas, tiennent une forme de comptabilité en arabe, mais pas en français. L’enjeu c’est donc la connaissance de la gestion d’une entreprise dans la langue officielle qu’est le français. Ce public a des acquis, il faut partir de là”.
Les formateurs, sélectionnés pour leur maîtrise du shimaoré et du kibushi, s’appuieront donc sur les connaissances antérieures des stagiaires pour les encourager. “Cela favorise l’estime de soi. Valoriser sa culture favorise l’apprentissage” explique la chargée de projet.
Il s’agit donc bien d’une formation adressée à des personnes qui disposent d’un certain nombre de savoirs de base, qui peuvent être issus de l’école coranique ou de la madrasa, mais à qui il manque le référentiel linguistique pour se mettre en conformité. “C’est vraiment l’enjeu, insiste Fatima Assani. Dans une entreprise, il faut faire des déclarations fiscales et sociales. C’est notre finalité.”
A ce stade, la formation est encore expérimentale. Si elle porte ses fruits, le dispositif pourrait néanmoins vite prendre de la hauteur. Avec pas moins de 2000 doukas, 1400 artisans et 700 créateurs d’entreprise et les CAC, créateurs-artisans-commerçants, ce sont près de 5000 entrepreneurs qui sont potentiellement concernés par ce besoin en formation. Pour ne parler que de ceux qui ont déclaré leur activité.
Les premiers cours auront lieu en février.
Y.D.
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